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## Ecrire local : mon expérience
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Tags : #Podcast #Gay
Rédigé : Dimanche 21 june 2020 - pour l'épisode 6 du podcast
Précédé de : [[S01E06 Ecrire l'ailleurs, écrire local]]
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La préparation de cet épisode m'a donné l'occasion de réfléchir sur mes propres pratiques. De manière générale, je suis un écrivain du local. Or il se trouve que mon local peut sembler "exotique" pour une grande partie de mon lectorat, puisque presque toutes mes histoires se passent en Angleterre, c'est à dire… selon le point de vue que l'on adopte, à l'étranger.
La trilogie *Tendres baisers d'Oxford* a pour cadre principal Oxford / jusque-là rien d'étonnant /une ville qui se situe à une heure en voiture de Londres environ. Même chose pour *Dormeveille Collège*, ma duologie de fantasy urbaine gay. Quant à ma dernière romance gay, le *Youtubeur*, j'ai souhaité rendre hommage aux lieux dans lesquels j'avais vécu : Toulouse, Londres et Oxford.
Au final, j'ai passé quatre années de ma vie à Oxford, avant de déménager dans le nord du pays. Choisir l'Oxfordshire comme cadre à mes histoires a été un moyen de m'approprier cette région étrangère dans laquelle j'étais venu m'installer après mon long séjour londonien.
Si jusqu'à ce moment-là, je n'avais jamais été intéressé par l'écriture locale, c'était parce que je m'étais efforcé de vivre dans les métropoles parisiennes et londoniennes, c'est à dire au centre même de l'action. / Vous remarquerez que quand on écrit sur la Capitale, on n'a jamais le sentiment d'écrire "local"… Non, on écrit et on décrit l'universel. \[ricanement\]/
Grandir dans un coin paumé d'Ariège m'a toujours donné l'envie d'aller ailleurs, de quitter les marges, si bien que je n'ai jamais prêté attention aux lieux dans lesquels je vivais, j'ai refusé de voir leur beauté et de croire qu'il était possible de donner à ce "local" une dimension universelle qui parlerait à tous. L'Ariège était un lieu imposé qu'il me fallait quitter le plus vite possible, car j'avais l'impression que rien d'intéressant ne s'y passait.
Mon arrivée à Oxford, neuf ans après avoir quitté l'Ariège, a suscité / c'était pas trop tôt ! / un changement en moi : il était temps de prêter attention à ce qui m'entourait. Je m'y installais en couple. La ville ne serait donc pas une ville de passage, comme l'avait été Londres. Il fallait que je me l'approprie. Et le meilleur moyen de le faire ? C'était par l'écriture. J'allais devoir imaginer des histoires qui se passeraient dans cette petite ville de province universitaire et / si possible / qui fascineraient même ceux qui n'y avaient jamais mis les pieds.
Au final, j'ai tiré deux enseignements de ma vie à l'étranger : \[1\] le premier, c'est que Londres n'est pas le Royaume-Uni. On peut vivre dans la Capitale sans faire l'expérience de l'Angleterre… et même on peut y vivre sans être ami avec des Anglais. J'ai aussi appris qu'il y avait plusieurs Angleterre : on ne vit pas pareil à Londres, Bristol ou Manchester. Il y a des identités régionales fortes, toutes aussi intéressantes les unes que les autres. On retrouve cette diversité à Londres, où /finalement/ le moins intéressant reste le Londres touristique qui n'a pas d'âme, qui a été aseptisé pour plaire au touriste international. Si vous voulez prendre le pouls du vrai Londres, allez faire un tour au marché de Brixton et vous m'en direz des nouvelles !
\[2\] Le second enseignement a été le suivant : j'ai compris que l'écriture de l'Ailleurs est une pratique hasardeuse, une illusion qui ne fonctionne qu'avec des gens qui n'ont jamais fait de cet "ailleurs" leur "ici" / leur "chez soi". C'est à dire que vous offrez au mieux une joli photo de carte postale. Evidemment, il n'y a rien de mal à cela… mais une fois qu'on a goûté au vrai, la carte postale devient beaucoup moins attrayante, n'est-ce pas ? On remarque plus facilement le décor en carton-pâte, la superficialité du cadre. En un mot, le récit et les personnages ne sont pas bien ancrés dans leur lieu.
Notons ici toutefois que certains auteurs et certaines autrices sont des maîtres illusionnistes. Il suffit de lire un roman comme *Touch* de Claire North pour s'en convaincre : le protagoniste voyage à travers l'Europe et l'autrice parvient à nous faire croire qu'elle a personnellement vécu dans ces villes, tant les détails sont tangibles, empruntés à la vie quotidienne. Pourtant, de son propre aveux, elle n'y a jamais mis les pieds, mais elle avait la volonté de se détourner des lieux touristiques. Elle a donc cherché des infos sur… une aire d'autoroute dans tel pays ou une rue commerçante dans tel autre. J'ai trouvé l'effet tout à fait convainquant.
Pour conclure, j'aimerais dire qu'il importe peu / au fond / que l'on écrive sur l'Ailleurs ou que l'on écrive "local" tant que le choix du lieu se justifie et qu'on représente celui-ci avec le plus de fidélité possible. Que ce soit par des recherches poussées, effectuées à distance car on ne peut voyager, ou en allant y vivre plusieurs mois pour faire l'expérience du lieu et de ses habitants, l'essentiel est d'être le plus juste possible et de fortifier chez le lecteur la conviction que l'on sait de quoi on parle.
En tant qu'auteur / mais aussi en tant que lecteur / ma préférence va souvent au local, car je suis convaincu que l'universel ne se trouve pas simplement à Paris, Londres ou les Etats-Unis, ces lieux où les forces centripètes de la littérature nous ramènent toujours… mais que l'universel se niche dans ce qu'il y a de plus particulier, de plus unique… Pour toucher le plus de monde, il n'y a parfois pas besoin de choisir les Etats-Unis comme cadre de son histoire… une romance à Nice ou à Toulouse peut suffire.