[[20_PublicDiary]] [[Semaine du 2023-01-30|Semaine prĂ©cĂ©dente]] - [[Semaine du 2023-02-13|Semaine suivante]] # Semaine du 06 fĂ©vrier 2023 > Ce journal fait usage du fĂ©minin gĂ©nĂ©rique. ## Lundi 6 fĂ©vrier AprĂšs un retour Ă  Twitter, voilĂ  que Lionel Davoust est de retour sur Facebook. [Les arguments](https://lioneldavoust.com/2023/pourquoi-jai-rouvert-un-compte-facebook) qu'il avance sont tous valables (et mĂȘme s'ils ne l'Ă©taient pas, peu importe, c'est son choix ; il fait ce qu'il veut de sa vie). Deux points importants dans ce qu'il dit : 1) les rĂ©seaux sociaux ne sont pas un bon outil de promotion de son oeuvre (ce qui me semble juste et Ă©vident pour les autrices publiĂ©es dans l'Ă©dition traditionnelle, mais qui pose un problĂšme pour les auto-Ă©ditĂ©es sur lequel il faudra se pencher un jour) ; 2) les rĂ©seaux sociaux sont... eh bien, sociaux, ils fournissent une occasion inestimable d'ĂȘtre en contact avec d'autres autrices et professionnelles de l'Ă©criture. Le mĂ©tier d'autrice est naturellement solitaire ; il vaut mieux s'entourer le plus possible Ă  la moindre occasion, au risque de dĂ©pĂ©rir. Quid de la toxicitĂ© de ces diffĂ©rentes plateformes ? Vivre dans la sociĂ©tĂ© actuelle oblige chacune d'entre nous Ă  devoir compromettre ses valeurs au quotidien. La puretĂ© morale n'existe pas et n'est pas possible sans hypocrisie (Ă  moins de vivre hors-la-sociĂ©tĂ© peut-ĂȘtre, mais est-ce seulement souhaitable ?). Je n'ai, moi-mĂȘme, pas de solution Ă  ce casse-tĂȘte : mon instinct me souffle de partir quand je n'aime pas l'environnement dans lequel je me trouve... Si je n'Ă©tais pas Ă©crivain, je soupçonne que je ne serais plus sur Twitter ou Instagram. Malheureusement pour moi (et certainement, un peu pour les autres aussi), je dois maintenir une certaine prĂ©sence si je veux qu'on se rappelle qu'Enzo Daumier (l'auteur) existe. --- ## Mardi 7 fĂ©vrier Si l'on veut mener une vie heureuse (*eudaimonic life*), il faut ĂȘtre bien entourĂ©e. La solitude, nous dit-on, est mauvaise pour la santĂ©. [Robert Waldinger](https://www.theguardian.com/lifeandstyle/2023/feb/06/how-to-have-a-happy-life-according-to-the-worlds-leading-expert?CMP=Share_iOSApp_Other) fait remarquer que les rĂ©seaux sociaux ne sont bĂ©nĂ©fiques que lorsqu'on y est active, c'est Ă  dire quand on crĂ©e du lien, qu'on Ă©change, qu'on cause, qu'on s'entraide. Une consommation passive nuit Ă  son bien-ĂȘtre (ce que mon expĂ©rience personnelle semble confirmer). Notre gĂ©nĂ©ration est la premiĂšre Ă  devoir dĂ©velopper des compĂ©tences nouvelles afin de gĂ©rer la vie sur les rĂ©seaux sociaux : *getting a thick skin*, bloquer les fĂącheuses, prendre un recul critique sur ce que l'on consomme, accepter que les autres ne partagent pas les mĂȘmes avis, comprendre que son attention est un bien prĂ©cieux car limitĂ© et agir en consĂ©quence. C'est une question de survie, me semble-t-il. Mais tout le monde ne sait pas qu'il faut dĂ©velopper ces *skills* pour vivre bien. Il faut dire qu'on n'enseigne pas Ă  l'Ă©cole la nĂ©cessitĂ© d'avoir une *philosophy of life* (stoĂŻcisme, Ă©picurisme, bouddhisme zen, etc.), c'est Ă  dire un systĂšme pratique qui nous indique la meilleure façon de mener notre vie... À mesure que le temps passe, je pense, comme William B. Irvine dans *A Guide to the Good Life*, qu'il vaut mieux avoir un systĂšme imparfait, peut-ĂȘtre mĂȘme faux, plutĂŽt que de ne pas en avoir du tout. --- ## Mercredi 8 fĂ©vrier Damon Suede, l'Ă©crivain de romances gays, explique que, pour concevoir un personnage, il vaut mieux choisir un verbe (ex. dominer) plutĂŽt qu'un adjectif (ex. autoritaire). Sur la page, un personnage existe parce qu'il agit. Il est moteur de l'action, il est l'action elle-mĂȘme. La premiĂšre fois que j'ai entendu son explication, j'ai Ă©tĂ© surpris, car tous les discours qu'on trouve sur les personnages parlent de personnalitĂ©s, de psychologies, de leur passĂ©, etc. mais trĂšs peu suggĂšrent de concevoir le personnage Ă  travers ses actions... alors que l'on sait toutes que, dans une scĂšne, ce qui importe, c'est l'action des personnages - c'est Ă  dire ce qu'ils y font (ou ne font pas). L'autrice est souvent une metteuse en scĂšne. <center> * </center> MĂȘme si je donne raison Ă  Damon Suede, j'aimerais que le roman ne soit pas rĂ©duit Ă  un empilement de scĂšnes. C'est un phĂ©nomĂšne que l'on observe de plus en plus, certainement dĂ» Ă  l'influence des sĂ©ries TV (un format basĂ© exclusivement sur la scĂšne). Tout n'a pas besoin d'ĂȘtre dramatisĂ© dans un roman. La narration, le rĂ©cit sont des outils puissants - c'est d'ailleurs ce qui fait la force de la littĂ©rature : elle peut rĂ©sumer dix ans en quelques phrases Ă  peine ou Ă©voquer le paysage Ă©motionnel d'un personnage en un paragraphe. Elle n'est pas obligĂ©e de montrer. En tout cas, pas de la mĂȘme maniĂšre que les arts visuels. --- ## Jeudi 9 fĂ©vrier Je ne me sens jamais autant en commande de mon Ă©criture que lorsqu'elle dĂ©cortique les Ă©tats d'Ăąme des personnages. À l'occasion, j'ai essayĂ© de me concentrer sur l'action, sur l'intrigue, etc., de prendre un peu de recul, mais mes histoires ne prennent vie que lorsque j'indique avec prĂ©cision ce que ressent le personnage Ă  un moment donnĂ©. MĂȘme si certaines lectrices n'aiment pas ce genre de rĂ©cit, j'ai compris qu'il valait mieux que je suive mon instinct. Cela ne veut pas dire que le rĂ©sultat est meilleur en soi, mais plutĂŽt que j'Ă©cris ce que je suis censĂ© Ă©crire. Je lis tel passage et je me dis : voilĂ , tu as Ă©crit ce que tu voulais dire et de la maniĂšre qui t'est la plus naturelle. La conclusion des *Chroniques de Dormeveille* est ainsi Ă©crite. De mĂȘme que certains chapitres des *Sentiments du devoir* (non publiĂ©). C'est d'ailleurs aprĂšs avoir Ă©crit cette novella, et en lisant les commentaires de Clara, que j'ai compris qu'il s'agissait lĂ  d'une des forces de mon style, de la raison pour laquelle j'Ă©crivais (dĂ©crire l'intĂ©rioritĂ© de mes personnages). <center> * </center> Dans *Le dĂ©mon blanc de Fleur-Eclose*, j'ai souhaitĂ© me concentrer sur un autre aspect : les descriptions. Si j'allais au plus facile, je n'Ă©crirais que des dialogues : je me considĂšre comme un auteur aveugle ; j'entends ce que disent mes personnages, mais je ne vois pas facilement l'environnement dans lequel ils Ă©voluent. Mon objectif n'est pas d'Ă©crire des descriptions de plusieurs pages comme au XIXe siĂšcle, mais simplement de rendre mes univers plus riches. *To add some more meat.* Quand je relis l'Ă©pisode 01, je peux voir le rĂ©sultat de cet effort : c'est comme si un autre Enzo Daumier avait composĂ© certains paragraphes. (Je ne peux rien dire de l'Ă©pisode 02 que j'ai publiĂ© en cours d'Ă©criture, ce qui a Ă©tĂ© une erreur, car j'ai eu l'impression que le texte/l'histoire ne m'appartenait pas.) Toutefois, je sais qu'il n'est pas possible de dĂ©cortiquer les Ă©tats d'Ăąme de Lao. C'est un personnage qui se regarde de loin ; la figure du *trickster* ne peut pas ĂȘtre analysĂ©e. Je ne peux pas dĂ©tailler son paysage Ă©motionnel autant que je le voudrais, car Lao cesserait aussitĂŽt d'ĂȘtre un trickster. Il se figerait. Or, je le veux dynamique. Pour ĂȘtre pleinement lui-mĂȘme, il doit me glisser entre les doigts. <center> * </center> Si je retourne aux *RĂ©cits PĂ©ninsulaires*, j'aimerais rapporter avec moi les outils que j'ai dĂ©veloppĂ©s lors de l'Ă©criture de l'Ă©p 01 du *DB*, ne pas dramatiser le texte Ă  outrance (= empiler les scĂšnes) et ne pas dĂ©pendre des dialogues pour faire avancer l'histoire. Et bien Ă©videmment, je dĂ©cortiquerai les Ă©tats d'Ăąme de Corydon, Alexandre, et de toutes les autres, Ă  l'envi. --- ## Vendredi 10 fĂ©vrier “Quand tout le monde Ă©crit et publie, l’écrivain n’est plus un ĂȘtre singulier, entourĂ© d’une « aura » magique. Walter Benjamin conclut : « La reproduction mĂ©canique de l’art change la rĂ©action des masses face Ă  l’art. »” — *La mĂ©canique du texte* de Thierry Crouzet <center> * </center> Ces derniĂšres annĂ©es, nous avons inventĂ© une nouvelle catĂ©gorie qui gravite dans la sphĂšre LGBTQ+ : celle de l'alliĂ©e. Je n'attends d'elle qu'une seule chose : qu'elle trouve mon existence normale et l'accepte sans sourciller. Je ne souhaite pas qu'elle se batte Ă  ma place ou qu'elle comprenne tous les problĂšmes de toutes les lettres de l'arc-en-ciel. Elle n'est pas nous et n'a pas Ă  le devenir. Quand elle nous semble faillir dans sa mission d'alliĂ©e, je lui pardonne ; je ne lui demande pas d'ĂȘtre pure dans ses intentions ni ses actes. Je comprends que le monde soit difficile pour chacune d'entre nous, cis-hĂ©t ou queer, et que la perfection ne s'y trouve pas. Parfois, je regrette que cette alliĂ©e me déçoive, qu'elle n'agisse pas aussi vertueusement que je le voudrais, mais je refuse les rĂ©criminations, car trĂšs vite, je pourrais perdre de vue qui est l'ennemie. L'ennemie, c'est celle qui use de violence contre les membres de ma communautĂ© ; celle qui bat, celle qui tue, celle qui blesse, avec ses poings ou ses mots. Je pardonne Ă  l'ignorante et Ă  l'idiote ; je ne pardonnerai pas Ă  celles qui le font avec l'intention de faire du mal. Quand tout est utilisĂ© pour nous diviser, nous monter les unes contre les autres, les seules actions acceptables ne sont pas de construire des citadelles, de nous enfermer dans nos ghettos, mais de bĂątir des ponts et de tendre la main, aussi douloureux que cela puisse ĂȘtre Ă  l'occasion. L'alliĂ©e est imparfaite ; je le suis aussi. Nous irons plus loin, nous serons plus fortes, si nous marchons ensemble, cĂŽte Ă  cĂŽte. --- ## Samedi 11 fĂ©vrier "On dit de la MĂ©decine qu’elle est un Art ; on le dit aussi bien de la VĂ©nerie, de l’Équitation, de la conduite de la vie ou d’un raisonnement. Il y a un art de marcher, un art de respirer : il y a mĂȘme un art de se taire." (Paul ValĂ©ry) C'est bien lĂ  un art que je ne maĂźtrise pas. Notre sociĂ©tĂ© ne nous invite pas Ă  le cultiver. Il faut avoir un avis sur tout, et surtout un avis. Nous commentons, glosons, disons tout ce qui nous passe par la tĂȘte. Les rĂ©seaux sociaux n'ont qu'une loi : *# NoFilter*. Je me retiens le plus possible, mais je suis, moi aussi, victime de cette tendance au surcommentaire. Ce journal en est une bonne illustration, certainement, mĂȘme s'il se veut moins instantanĂ©, qu'il m'oblige Ă  m'arrĂȘter un temps pour observer une pensĂ©e et voir si elle tient la route. Comme une malade qui regarderait des patientes plus malades qu'elle, je scrolle les RS et m'Ă©tonne qu'on puisse publier le moindre dĂ©tail de sa vie, la moindre humeur, la moindre pensĂ©e... comme si *tout* devait ĂȘtre partagĂ©, le bon comme le mauvais, l'hideux comme le sublime. Prudence, dĂ©cence, pudeur... tout ça nous fait dĂ©faut. Sans parler du fait qu'on offre gratuitement notre intimitĂ© Ă  ces plateformes pour qu'elles la monĂ©tisent. *Are we mad?* --- ## Dimanche 12 fĂ©vrier Depuis que j'ai fait le test [StrengthsFinder de Gallup](https://www.gallup.com/cliftonstrengths/en/254033/strengthsfinder.aspx), il y a quelques mois, je sais que l'une de mes forces (la *number one*, pour ĂȘtre exact) est *Input*. En toute honnĂȘtetĂ©, je l'avais dĂ©jĂ  devinĂ©, mais je n'avais pas un cadre thĂ©orique pour clarifier ce que je sentais confusĂ©ment en moi ou que j'avais pu observer dans mon comportement depuis plusieurs annĂ©es. *Input* veut dire que j'Ă©prouve un fort besoin (un besoin vital ?) de collectionner et d'archiver. Dans mon cas, c'est principalement intellectuel : j'accumule des connaissances et des idĂ©es. Constamment. *Food for thought*. Chez d'autres, l'*Input* peut prendre une forme physique (collection d'objets) ou sociale (collection d'amitiĂ©s)... (D'ailleurs, ma collection de stylos-plume trouve certainement ici son explication.) Je suis productif dans mon Ă©criture quand mon *Input* est satisfait, c'est Ă  dire quand je suis intellectuellement stimulĂ©. Mes lectures, et plus largement tout le contenu que je consomme, servent de terreau Ă  mon inspiration. Je viens de prendre conscience que j'Ă©prouve quelques difficultĂ©s quand je me limite Ă  Twitter. Il y a dix ans, cette plateforme Ă©tait une source merveilleuse d'information : les gens partageaient de nombreux articles sur tous les sujets imaginables... De nos jours, on ne voit plus cette richesse. La fureur et le bruit l'ont remplacĂ©e, en partie parce que l'algorithme considĂšre que l'information doit ĂȘtre un divertissement clivant ; & parce qu'il est plus facile de parler de son nombril que de s'intĂ©resser Ă  l'immensitĂ© vertigineuse du monde (passĂ© comme prĂ©sent, voire futur). Je remarque que je scrolle sans fin dans l'espoir de trouver une pĂ©pite d'information qui servira d'Ă©tincelle. (Tu l'auras compris, je suis accroc aux *EurĂȘka*.) Mais, au final, la pĂȘche est dĂ©cevante : je fais davantage le plein de nĂ©gativitĂ© que d'inspiration. Il est peut-ĂȘtre temps que je retourne Ă  un rĂ©gime de lecture plus intense : ça demande plus d'effort, c'est moins sensationnaliste, mais c'est certainement lĂ  que se trouve une des clĂ©s de mon Ă©panouissement. --- Partage : ✅ Sylve Publique