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# Semaine du 12 juin 2023
## Lundi 12 juin
Beaucoup d’artistes LGBTQ+ nous feraient croire que l’expĂ©rience queer est fondamentalement nĂ©gative et ancrĂ©e dans la douleur. La diffĂ©rence devient un stigmate dont il serait impossible de se dĂ©barrasser et qui nous ferait vivre dans la misère psychologique la plus crasse. En effet, il est rare qu’une personne queer vive sa vie sans connaitre une pĂ©riode de dĂ©pression (voire plusieurs)… la violence, sous des formes variĂ©es, nous accompagne tout au long de notre existence, qui, malheureusement pour certain·es, se termine en tragĂ©die.Â
Chez les queers, comme chez les cis-hét d’ailleurs, la douleur est un sujet noble. Le grave l’emporte toujours sur le léger ; ça fait plus sérieux.
Mais il faut que nous veillions à ne pas nous cantonner au rôle de victimes misérables. Nous sommes davantage que ça ; être queer, c’est faire l’expérience de la sublimation : dans un terreau souvent fait de souffrance et de détresse, nous faisons pousser des fleurs extravagantes, tendres et joyeuses.
La joie est au centre de notre expĂ©rience ; nous la vivons plus intensĂ©ment parce que les douleurs sont pareillement plus vives. Nous sommes fiers de nos vies (ce n’est pas pour rien que nous avons un mois entier consacrĂ© aux Prides) parce qu’il n’a pas Ă©tĂ© facile de nous libĂ©rer des oripeaux Ă©touffants de l’hĂ©tĂ©ronorme.Â
En tant qu’artistes, nous nous devons aussi de mettre en lumière ces moments-là et de les conserver pour la postérité.
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## Mardi 13 juin
Ă€ mes yeux, vieillir est synonyme de bonheur.Â
Évidemment, je n’aime pas voir ma fesse s’amollir (*horresco referens*) et je n’ai pas adoré voir mes cheveux se faire la malle (si tôt, en plus… super bagage génétique que le mien ! Merci mes parents).
Mais pour chaque annĂ©e qui s’ajoute au compteur, s’ajoutent aussi une meilleure connaissance de moi-mĂŞme et une plus grande acceptation. Ă€ mesure que le temps passe, je me soucie de moins en moins de l’avis des autres. Je me dĂ©barrasse du superflu ; la pression de l’hĂ©tĂ©ronorme se fait moins Ă©touffante.Â
Je m’explore, je me dĂ©couvre et je m’accorde cette validation qui me faisait tant dĂ©faut quand j’étais plus jeune.Â
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’aimerais pas retourner dans le passĂ© (Ă moins, peut-ĂŞtre, de garder la maturitĂ© que j’ai acquise avec l’expĂ©rience) : j’étais tellement plus inquiet quand j’avais vingt ans. Il fallait plaire, il fallait s’intĂ©grer, il fallait se faire accepter.Â
Porter un masque s’avère fatigant… une fois qu’on accepte de le retirer, on peut enfin apprécier la sensation de l’air sur sa peau, cette liberté, cette légèreté de devenir soi-même.
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## Mercredi 14 juin
L’incertitude, je ne sais pas gĂ©rer. C’est certainement la raison pour laquelle je suis un *control freak*.Â
Le contrĂ´le est une illusion : on a beau tout planifier dans le moindre dĂ©tail, il y aura toujours quelque chose qui dĂ©conne. J’ai beau savoir tout ça, en avoir fait les frais Ă plusieurs reprises, je reste quand mĂŞme un *control freak*.Â
Alors je donne une direction ; je structure ; je stratégise comme si je partais en guerre ; je tire des plans sur la comète ; je fatigue mon entourage, je me fatigue aussi.
Un jour, j'apprendrai à accepter la vie comme elle vient. En attendant, je suis un poing fermé dont la tension blanchit ses articulations.
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## Jeudi 15 juin
Le principe est pourtant simple : durant les grosses chaleurs, on ne garde les fenêtres ouvertes que tant que les températures extérieures sont inférieures à celles de l’intérieur de la maison. De préférence, très tôt le matin et tard le soir. Quand la chaleur commence à s’installer, on ferme les fenêtres, mais aussi les rideaux ou les volets.
Les Anglais·es sont incapables de le comprendre : iels ouvrent leurs fenêtres en plein milieu d’après-midi pour « faire circuler l’air »… et ne comprennent pas pourquoi iels étouffent constamment avec du 27 degrés, ou pire, chez elleux. Avec la crise climatique qui ne peut qu’empirer, des concepts aussi simples que « ne pas faire rentrer la chaleur » devraient être du *common sense*. Mais en Angleterre, il vaut mieux pisser dans un violon.
Il m’a fallu plusieurs années (et plusieurs étés chez mes parents dans le Sud de la France) pour éduquer mon mari. C’était dur, mais l’élève a même fini par dépasser le maitre.
Pour ce qui est de mes collègues, j’ai dû abandonner.
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## Vendredi 16 juin
Si je n’avais pas Antidote 11 pour corriger ce journal, je ne suis pas sĂ»r que je parviendrais Ă appliquer correctement les rectifications de l’orthographe de 1990.Â
Dans un élan d'hypercorrection, je pense que j’enlèverais tous les accents circonflexes et mettrais des tirets partout ; je suis simple comme ça.
<center> * </center>
Mais Ă la rĂ©flexion… je ne ferais pas mieux avec l’orthographe traditionnelle. Trop de règles, trop d’exceptions, trop de prises de tĂŞte. La langue devrait ĂŞtre une joie et non une source d’insĂ©curitĂ©.Â
Se demander si tel mot double sa consonne ou non, si le participe s’accorde et dans quelles conditions, c’est perdre un temps précieux qui pourrait être employé à affiner sa pensée.
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## Samedi 17 juin
Saramago - Eco - Le Guin
Trois auteurices de renom, toustes les trois dĂ©cĂ©dé·es, mais que rien ne semble relier Ă première vue.Â
J’ai commencé la lecture de *The Notebook* de José Saramago, le prix Nobel de Littérature portugais, dont j’ai entendu parler pour la première fois en lisant les essais et les entretiens de Le Guin. Celle-ci admirait son œuvre et c’est en découvrant son blog, l’usage qu’il en faisait, qu’elle a décidé de bloguer à son tour…
Justement, *The Notebook* rassemble les textes publiés sur le blog de Saramago de 2008 à 2009. C’est écrit avec précision et élégance. C’est engagé ; il ne mâche pas ses mots (les portraits qu’il dresse de Bush ou de Berlusconi valent le détour). C’est ce qui a certainement plu à Le Guin : les deux partagent des affinités politiques certaines.
Umberto Eco a prĂ©facĂ© l’édition italienne du *Notebook*. Son introduction est reprise dans l’édition anglaise. Il fait une distinction entre la fiction de Saramago et ses essais : Saramago le romancier n’est pas moralisateur, tandis que Saramago le blogueur-chroniqueur se situe dans cette veine de l’indignation morale.Â
Umberto Eco, lui aussi, écrivait ce genre de billets chaque semaine dans *l’Espresso*, le magazine italien. On peut en trouver une sélection dans *Chronicles of a Liquid Society*, publié chez Vintage. Je n’ai feuilleté qu’un tiers de l’ouvrage, car je me suis vite lassé du ton grincheux, assez conservateur (et qui aurait certainement trouvé sa place dans le *Figaro*, si Eco n’avait pas été de gauche).
Le peu que j’ai lu de Saramago me semble différent : il y a du feu dans ce qu’il écrit. La passion et l’engagement ne se sont pas amoindris avec l’âge… Et je lis donc cela avec grand intérêt, me demandant comment on peut écrire aussi bien, avec autant de précision (dans les mots que l’on emploie et les exemples que l’on cite), et autant de facilité : si je voulais écrire aussi bien, ça me prendrait la journée tout entière pour un résultat qui serait certainement décevant.
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## Dimanche 18 juin
On ne saurait ĂŞtre Ă©crivain·e sans ĂŞtre lecteurice. (Ou plutĂ´t, on peut l’être, Ă©videmment, mais le rĂ©sultat s’avèrerait bien hasardeux.) Peu importe ce qu’on lit : l’essentiel, c’est de lire.Â
Celleux qui affirment le contraire n’ont pas peur du ridicule : que penserait-on d’un·e musicien·ne qui n’écoute pas de la musique ? d’un réalisateur qui ne regarde jamais de film ou de séries TV ? ou d’un artiste qui ne visite pas les musées ou les galeries ?
Bien sĂ»r, c’est plus facile de regarder une sĂ©rie Netflix. Le manque de temps, la fatigue, tout ça rend la lecture difficile. Je suis le premier Ă passer ma vie devant le petit Ă©cran… mais je ne me leurre pas : si je veux Ă©crire (bien), je dois aussi nourrir ma muse, et celle-ci ne se nourrit convenablement que lorsque je l’immerge dans son art.Â
Je suis un manipulateur de phrases ; je raconte des histoires en utilisant des mots (et non des images), mon langage n’est pas celui des séries télé. (Bien sûr, j’apprends le *storytelling* quand je me plonge dans une série, mais c’est différent.)
Je ne dis pas qu’il ne faudrait que lire (ou même que la lecture est supérieure au visionnage)… simplement qu’un écrivain est un lecteur… et qu’on ne peut pas pratiquer cet art si on se coupe de ce que les autres auteurices font ou ont fait.
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