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# Semaine du 21 août 2023
## Lundi 21 août
Je me souviens d’une remarque d’une autrice de M/M, vĂ©tĂ©rane française du milieu, faite sur les rĂ©seaux sociaux il y a quelques annĂ©es. Avec beaucoup de justesse, elle reprochait Ă l’homoromance, ou plutĂ´t Ă celleux qui Ă©crivaient dans ce genre, d’être complaisant·es. *Quae bene amat, bene castigat*.Â
Croire qu’il suffit de mettre deux gars ensemble dans une histoire pour faire de nous de bon·nes Ă©crivain·es de M/M est absurde. J’irai mĂŞme plus loin : dans la vie, il faut avoir un peu plus d’ambition que ça. Les meilleures romances sont celles qui nous apprennent quelque chose sur l’amour, qui nous enrichissent. Si nous n’avons rien Ă dire sur ce sujet, pourquoi embarrasser le monde de nos histoires gays ?Â
Évidemment, l’homoromance a pour mission de divertir les lecteurices, mais le divertissement doit être de bonne qualité… et pour cela, il faut un peu (voire beaucoup) de substance. *Boy meets boy* ne saurait suffire.
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## Mardi 22 août
Je suis un lecteur lent. Pendant longtemps, j’ai lu avec une attention absolue chaque mot, chaque phrase. Je ne sautais rien. Je faisais mes pauses à la fin des chapitres. J’étais un lecteur obéissant. Ce manège a duré de nombreuses années. Je ne sais quand j’ai commencé à prendre davantage de liberté, à m’émanciper de cette phase anale.
Aujourd’hui, je ne suis plus les divisions en chapitres si elles ne me conviennent pas. Je saute des paragraphes entiers, je lis en diagonale. S’il y a une scène de sexe, je la passe automatiquement (sauf quand je lis les textes d’ami·es dont je sais que c’est la spécialité et le dada). Je considère (et il s’agit là d’une opinion strictement personnelle) que si je veux quelque chose d’excitant, je regarde un porno. C’est plus efficace. (J’aime qu’on parle de sexe ; je n’aime pas qu’on le décrive sur plusieurs paragraphes, ou, pire, sur plusieurs pages.)
Mais je m’égare. L’âge aidant, je relis de plus en plus souvent. Pas autant que Jo Walton qui est une relectrice vorace, mais de temps en temps, je retourne Ă un ouvrage qui m’a laissĂ© un bon souvenir. C’est l’occasion de le redĂ©couvrir et d’essayer d’en retirer quelques enseignements : c’est l’écrivain en moi qui relit. On ne saurait comprendre comment un texte a Ă©tĂ© construit Ă la première lecture.Â
J’ai ainsi relu David Levithan (*Two Boys Kissing*), Mercedes Lackey (Vanyel !), Benjamin Alire Sáenz (*Aristotle and Dante*), Marguerite Yourcenar (*Les Nouvelles Orientales*), Ursula Le Guin, Thomas Burnett Swann et Mervyn Peake. Ces trois derniers car j’ai écrit des articles à leur sujet. À l’école ou à l’université, j’ai relu *Bel-Ami* de Maupassant et *The Great Gatsby*. J’aimerais relire *Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants* de Mathias Énard, *Les villes invisibles* de Calvino et *The View from the Seventh Layer* de Kevin Brockmeier.
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## Mercredi 23 août
Je reprends ma lecture d’*Un savoir gai* de William Marx, une exploration de l’expérience gay par un professeur de littérature au Collège de France (le livre est sorti avant son élection quand il enseignait encore à l’Université). J’aime ces chapitres courts, écrits à la deuxième personne du singulier. Je l’avais commencé durant la pandémie. J’avais bien aimé cette première partie. Voyons si la suite me plait autant : j’ai pas mal changé ces dernières années ; en particulier, j’ai développé une allergie à la culture bourgeoise et à ses références. (Et l’Université est une machine bourgeoise par excellence, que celleux qui en font partie le veuillent ou non.)
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## Jeudi 24 août
Les livres que j’aime sont ceux que j’aurais aimĂ© avoir Ă©crits. Non seulement quelqu’un d’autre a eu l’idĂ©e, mais l’a aussi rĂ©alisĂ©e, et certainement mieux que je n’aurais pu le faire moi-mĂŞme.Â
Ces livres élargissent mon horizon. Ils me montrent ce qu’il est possible de faire quand on sort des sentiers battus. Ce sont souvent des O.L.N.I. : ils se jouent des codes, les mélangent, les maltraitent.
Je suis fasciné par les formes fragmentées, les dictionnaires, les listes, les potpourris. Ce qui fourmille, ce qui ne se limite pas à un seul thème, à une seule ligne, à une seule approche. Le plaisir de lecture y est à géométrie variable, c’est vrai. On n’est jamais sûr qu’on aimera la page suivante ; on n’est jamais sûr qu’on finira l’ouvrage.
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## Vendredi 25 août
Je viens de recevoir confirmation que la poĂ©sie spĂ©culative existe bien. J’aurais Ă©tĂ© surpris si la SFFF n’avait pas habitĂ© le champ de la crĂ©ation poĂ©tique contemporaine. Aux États-Unis, il existe mĂŞme un prix : le *Rhysling Award*, dont je viens de commander les anthologies de 2020 et de 2021.Â
C’est un peu le seul truc que j’envie aux USA : ils ont souvent (toujours ?) des magazines, des revues, des prix pour promouvoir les genres mineurs ou malaimés. Pourrait-on imaginer le Rhysling Award en France ? Même pas en rêve.
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Comme le prouve C.S.E. Cooney dans [*Postcards from Mars*](http://stonetelling.com/issue6-dec2011/cooney-postcards.html), on peut raconter une histoire émouvante en quelques strophes à peine. C’est le genre de poésie que j’ai envie de lire : simple et élégante, qui émeut dès la première lecture. Une poésie démocratique : tout le monde peut la comprendre et l’apprécier.
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Du coup, je me suis empressé d’acheter *The Sign of the Dragon* de Mary Soon Lee, une histoire de fantasy épique racontée à travers plus de 300 poèmes. Chaque poème diffère du précédent en développant une forme qui lui est propre. Ça fourmille de trouvailles ; on a l’impression de lire une histoire caléidoscopée.
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Ça fait quelques mois que j’ai envie de me remettre à la poésie. Je n’ai rien écrit depuis la publication de [*Parle-leur d’Amour*](https://enzodaumier.com/parle-leur-damour/). Je sens que je vais m’essayer à la poésie spéculative…
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## Samedi 26 août
Hier, de passage Ă Londres pour la journĂ©e, j’en ai profitĂ© pour visiter Gay’s The Word, la cĂ©lèbre librairie LGBTQ+ de la capitale, situĂ©e Ă quelques pas de Russell Square.Â
Je suis reparti avec deux ouvrages : *Homosexuality & Civilization* (2003) de Louis Crompton (une histoire de l’homosexualité à travers les siècles et les aires géographiques, dont la Chine et le Japon) et *Winter’s Orbit* (2021), d’Evarina Maxwell, un space opera queer.
J’ai dĂ©vorĂ© ce roman en quelques heures. Le Prince Kiem, un aristocrate de mauvaise rĂ©putation, le vilain petit canard de la famille impĂ©riale, est forcĂ© d’épouser Jainan afin de respecter le traitĂ© qui lie l’Empire d’Iskat Ă une planète mineure… Leur mariage arrangĂ© se fait sous les plus mauvais auspices : ça ne fait mĂŞme pas un mois que le prĂ©cĂ©dent Ă©poux de Jainan, le Prince Taam, est mort dans un accident qui pourrait bien ne pas l’être…Â
*Winter’s Orbit* est une romance slow-burn, exactement comme je les aime. (J’ai apprécié le petit clin d’œil à Ursula Le Guin et le traitement mature du genre des personnages.)
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À peine terminé, j’ai acheté le second roman de l’autrice britannique : *Ocean's Echo* (2022), qui se passe dans le même univers mais pas dans le même empire. On retrouve les tropes de la romance slow-burn. Le travail de caractérisation est tout aussi poussé et les scènes aussi bien écrites.
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## Dimanche 27 août
Vendredi, je disais Ă D. que si je devais me reconvertir, je voudrais travailler pour Mariage Frères et apprendre Ă crĂ©er des mĂ©langes de thĂ©. Parcourir toutes les plantations du continent asiatique afin de sourcer les bonnes rĂ©coltes. Bref, un mĂ©tier radicalement diffĂ©rent du mien.Â
Il se trouve que nous étions dans le salon de thé-restaurant qu’ils ont à Covent Garden. Je buvais du Reiwa Premier tout en mangeant des scones parisiens. Pour sa part, D. dégustait un de leurs thés glacés. Pour sa nourriture, il avait choisi le Bento — Caprice du Gouverneur, un croquemonsieur au saumon dont le pain était succulent. Je n’ai jamais rien gouté d’aussi bon. J’aurais aimé pouvoir tout manger… mais je suis végétarien et ne consomme plus de poissons depuis bientôt cinq ans. J’ai dû me contenter d’un petit morceau de pain. Ô joie…
MĂŞme si je note une amĂ©lioration Ă chaque visite, leur menu n’est pas assez vĂ©gĂ©tarien-friendly. Je blâme ici l’esprit français qui ne pourrait concevoir sa cuisine sans viande ni poisson. J’ai Ă©tĂ© obligĂ© de me rabattre sur du sucré ; comme leurs desserts sont remarquables, je ne devrais pas plaindre. Mais, vendredi, j’avais envie de salé…Â
Tant pis, D. s’est régalé et j’ai rêvé d’une vie faite de voyages, de thés et d’infusions.
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