# Semaine du 20 janvier 2025 *Ces entrées appliquent l’orthographe rectifiée. Adieu les petits accents circonflexes ! Pour recevoir gratuitement ma newsletter qui propose une édition mensuelle de ce Journal, c'est par [ici](https://enzodaumier.substack.com).* ## Mercredi 22 janvier Sur l’écriture d’un roman historique : « Comme pour tous les aspects de l’écriture, il faut être impitoyable, chaque fait historique doit gagner sa place, peu importe le nombre de pages qu’il occupe dans mes carnets de notes. (…) J’ai tendance à classer mes recherches en trois catégories différentes. La première concerne les faits dont j’ai besoin pour raconter l’histoire. Si je veux écrire sur des personnes qui ont construit un gratte-ciel, il n’y a pas moyen de faire autrement, j’ai besoin de savoir comment elles faisaient. La seconde concerne les faits dont j’ai besoin pour rendre l’histoire crédible. Pour moi, cela signifie comprendre l’époque dans laquelle vivent mes personnages. Nous sommes en 1930, personne ne s’envoie de SMS, la télévision n’existe pas, comment se divertissaient-ils ? Et enfin, les faits dont j’ai besoin pour planter le décor et \[rendre le roman plaisant à lire]. » (Gemma Tizzard in *The Craft of Writing*, The Literary Hub, 22/01/2025) --- ## Jeudi 23 janvier Ça y est ! Les couples LGBTQ+ peuvent se marier en Thaïlande.  Après un début de semaine pas folichon (*to say the least*), où l’on a assisté au retour fracassant de Trump et au salut nazi d’Elonito Muskolini, voir des couples lesbiens, gays et queers officialiser leur union devant l’État et la Nation me fait chaud au cœur. En particulier, ces séniors qui se sont battus toute leur vie pour que leurs droits soient reconnus. C’est une victoire émouvante. Elle est aussi rassurante : tout ne va pas si mal dans le monde. Ne perdons pas espoir.  Si l’Occident retombe dans le fascisme, oubliant à dessein les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et les leçons que nous pensions avoir tirées de ces sombres années, l’Asie continue son petit chemin, imperturbable. C’est donc vers l’est que mon regard se tournera à l’avenir. De toute manière, durant le mandat du dérangé orange, à l’ouest, il n’y aura rien de nouveau (*or worth celebrating, anyway*). --- ## Vendredi 24 janvier « J’ai toujours eu conscience de faire des emprunts, de rendre des hommages, et en l’occurrence rendre hommage à un auteur signifie s’approprier quelque chose qui lui appartient. \[…] Le moment de la lecture me semble fondamental ; il se peut que la lecture soit déjà du vol. \[…] Bien entendu, les peintures et les œuvres littéraires sont construites exprès pour être volées, en ce sens ; de même que le labyrinthe est construit pour que l’on s’y perde, mais aussi pour que l’on s’y retrouve. » (Italo Calvino, 1980, cité dans l’introduction de ses romans dans La Pléiade) --- ## Samedi 25 janvier *ThamePo Heart That Skips a Beat* est la série BL du moment, avec Est et William dans les rôles-titres. Vu son succès, ce n’est que le début d’une longue collaboration entre cet ancien nageur professionnel et le musicien du groupe LYKN. La filiale de production GMMTV sait comment monétiser ses talents : avec Est et William, ils sont tombés sur une mine d’or (ou pour être plus exact : ils en ont créé une). Mais ce qui m’intéresse ici, c’est l’écriture de la série, que je trouve originale en ce qu’elle va à l’encontre de ce qui se fait normalement dans les BL. Nous connaissons tous les techniques bateaux du suspense, en particulier le cliffhanger, qui est utilisé aussi dans les productions romantiques. Dans la dernière scène, on crée — assez artificiellement parfois — un rebondissement final qui met en danger la relation entre les protagonistes et qui pousse les téléspectateurices à regarder l’épisode suivant. Ici, l’écriture est pour ainsi dire inversée : tout l’épisode est consacré à une difficulté, qui menacerait (ou aurait le potentiel de menacer) la relation naissante entre Thame et Po. Mais celui-ci se termine en réaffirmant leurs sentiments. Le doute est levé à chaque fois, comme si la série refusait que l’on puisse terminer sur du suspense ou sur un malaise. En conséquence, *ThamePo* offre des scènes finales d’une beauté et d’une tendresse inégalée. C’est doux, c’est apaisant, ça réchauffe le cœur. Mais rien ne dit que les scénaristes feront ce choix jusqu’au treizième et ultime épisode. Elles nous habituent à un rythme particulier et s’assurent ainsi de contrôler nos attentes : après les inquiétudes (ou les frayeurs) de l’épisode, nous avons besoin de ce moment unique entre Thame et Po. J’imagine facilement qu’à l’épisode 11 ou 12, elles pourraient revenir à une écriture plus conventionnelle où cette douceur finale nous est refusée. Et ce serait là le moyen le plus sûr de nous briser le cœur (avant une résolution heureuse au dernier épisode bien sûr).  On reconnait les bons écrivains à leur capacité à être en contrôle des réactions de leur public. Très souvent, les BL pèchent par la médiocrité de leur scénario : l’idée est excellente, mais elle est tellement mal exécutée que ça en devient douloureux. Ici, le trio féminin derrière le script de *ThamePo* (PingPong Pohgudsai, Kannika Tovaranonte et Mui Tanthanawigrai) démontre une maitrise remarquable qui permet, en synergie avec une cinématographie impeccable et de bons acteurs, de créer un petit chef-d’œuvre du genre. --- ## Dimanche 26 janvier Il pleut sur Sheffield… et je pense à Barbara et à sa chanson « Nantes » (1963). *Il pleut sur Nantes Donne-moi la main Le ciel de Nantes Rend mon cœur chagrin* La suite raconte la mort de son père. Une chanson qui est doublement déchirante, car il s’agit de faire le deuil d’un père incestueux (ce que l’on n’a appris qu’après la mort de Barbara en 1998).  La douleur est, ici, ambigüe : celle d’arriver trop tard pour lui pardonner (car apparemment, elle avait fini par pardonner l’impardonnable) et celle d’avoir à rouvrir une plaie qui n’avait jamais vraiment cicatrisé. Cette confusion des sentiments, cette ambigüité jamais résolue, est visible dans des manuscrits qui ont été mis aux enchères chez Sotheby’s en décembre dernier : Barbara a réécrit « Nantes » de nombreuses fois, au point qu’un cahier lui est presque entièrement consacré.  Dans ses mémoires (*Il était un piano noir*), elle écrira : « *J’oublie tout le mal qu’il m’a fait, et mon plus grand désespoir sera de ne pas avoir pu dire à ce père que j’ai tant détesté : “Je te pardonne, tu peux dormir tranquille. Je m’en suis sortie puisque je chante !” »* En effet, de ce drame et de la terrible douleur subséquente sont nées de magnifiques chansons qui ont fait de Barbara la célèbre Dame en Noir… mais c’est bien là une triste consolation qui atténue assez peu notre nausée. --- [[Semaine du 2025-01-13|Semaine précédente]] - [[Semaine du 2025-01-27|Semaine suivante]]