# Semaine du 10 février 2025
*Ces entrées appliquent l’orthographe rectifiée. Adieu les petits accents circonflexes ! Pour recevoir gratuitement ma newsletter qui propose une édition mensuelle de ce Journal, c'est par [ici](https://enzodaumier.substack.com).*
## Mardi 11 février
En affirmant que l’IA dĂ©mocratise l’écriture et permet Ă tout le monde de pondre un roman en quelques heures, ses Ă©vangĂ©listes ne comprennent rien Ă l’art d’écrire de la fiction, et plus gĂ©nĂ©ralement Ă la crĂ©ation artistique.Â
Certes, nous nous plaignons constamment : écrire, c’est dur ; les belles phrases ne viennent pas spontanément ; telle scène manque d’émotion, telle autre de fluidité. Nous procrastinons ; nous avons même peur d’une page blanche ! Mais pourquoi revenons-nous à l’écriture même quand celle-ci est difficile et que celles et ceux qui veulent en vivre se condamnent le plus souvent à l’indigence ? La création artistique répond à un besoin profond en nous ; le satisfaire, même dans l’inconfort, donne du sens à notre vie. L’artiste crée.
Les LLMs retirent l’humain de la création. Les auteurices deviennent des *prompteurs*, des donneurs d’instructions ; le reste est fait par des petites mains virtuelles. Les choix difficiles sont sous-traités. Tout se passe désormais en dehors de notre psyché. Notre jardin intérieur s’appauvrit. Pourquoi voudrait-on se saborder ainsi ?
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## Mercredi 12 février
 « Quand on vit des crises, et nous en vivons une, d’abord initiée par la TV, puis les réseaux sociaux, maintenant amplifiée par les IA, nous avons tendance à dramatiser, à croire que nous ne nous en relèverons pas, que la littérature ne s’en relèvera pas. Et nous tentons de noter tant que c’est encore possible, nous disant que peut-être c’est pour la dernière fois. En vérité, toute cette écriture, tout ce jaillissement de mots, dit que la littérature, peu importe ce qu’elle est, continue de vivre, et continuera de vivre d’une façon ou d’une autre, au moins quelque temps. La crise fait de nous des écrivains notables. Et ceux qui ne perçoivent pas la crise naviguent heureux hors de la littérature. La littérature n’est peut-être qu’une succession de crises. » (Thierry Crouzet, [*Carnet*, Janvier 2025](https://tcrouzet.substack.com/p/janvier-2025))
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## Vendredi 14 février
Je trouve les tropes de la romance fascinants. Pouvoir tout étiqueter, quel pied ! J'ai l'impression d'être un entomologiste littéraire.
Mais quand un genre se rĂ©duit Ă une liste d’ingrĂ©dients, et que le discours sur la crĂ©ation littĂ©raire se limite Ă ces seuls lieux communs, on perd de vue l’intĂ©rĂŞt de la littĂ©rature et on la rĂ©duit Ă une pratique commerciale. Ă€ mes yeux, il ne fait aucun doute que la romance appartient Ă la littĂ©rature, que l’on mette Ă cette dernière une majuscule ou non. Je ne considère pas qu’écrire des romans qui vendent soit honteux ni que ce soit facile. Parler technique n’avilit pas la littĂ©rature, c’est mĂŞme nĂ©cessaire : nous sommes autant artistes qu’artisans.Â
Mais la romance ne peut s’épanouir en vase clos ; les auteurices ont besoin d’aller voir ailleurs pour l’enrichir. On peut être littérature doudou, réconforter le cœur des lecteurices, en éprouver de la fierté, sans pour autant proposer une création insipide sans ambition. Je regrette cette complaisance et ce manque d’exigence que je discerne parfois dans notre petit milieu.
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## Samedi 15 février
On ne respecte pas autrui et ses diffĂ©rences quand on se lance dans un sermon.Â
Notre civilisation occidentale, qui pratique le prĂŞche depuis un ou deux millĂ©naires, ne connait pas d’autres modes de communication : nous partons du principe que nous sommes meilleurs que les autres nations, qu’il existe un exceptionnalisme occidental (on l’appelle parfois le « progrès »). Nous jugeons constamment. Nos valeurs sont les plus nobles : le monde — ces sauvages ! — doit ĂŞtre Ă notre image. Nous nous parons des oripeaux de la Civilisation (avec une majuscule, excusez du peu) et nous apportons ses lumières sur tous les continents.Â
En réalité, nous avons encore une disposition d’esprit paternaliste et colonialiste. Nous ne dialoguons pas : nous parlons, ils doivent écouter. Nous savons mieux qu’eux l’aide dont ils ont besoin. *We know better.*
En France, Macron incarne parfaitement cela : ses allocutions jupitériennes au Journal de 20 Heures, ses remarques en Afrique, ses échanges avec les Mahorais·es. Quand cette morgue méprisable éclate au grand jour, n’y voyons pas une bévue ; c’est un symptôme du virus qui gangrène notre esprit occidental. Même les plus « éclairé·es » d’entre nous succombent à ce mal. Et ce virus nous empêche de débattre calmement de l’immigration, par exemple, ou de l’assimilation. (Ou pour citer un débat bien franchouillard : du voile…)
Comme nous refusons de nous mettre à la place d’autrui, nous sommes choqués de découvrir l’animosité, la rancune ou la colère que l’on suscite chez celles et ceux que nous « aidons » (ou avons aidé).
Dans le monde multipolaire qui est en train d’émerger, il est vital que nous changions notre disposition d’esprit. Le remède est simple (mais amer et difficile à avaler, j'en conviens) : descendre de notre piédestal, nous regarder dans un miroir et accepter l’idée que nous puissions être dans l’erreur.
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## Dimanche 16 février
Alors que la fin de *ThamePo* approche inexorablement, la ThaĂŻlande offre dĂ©jĂ une autre sĂ©rie phĂ©nomène pour piquer l’enthousiasme de notre communautĂ©.Â
L’équipe derrière *I Told Sunset About You*, une des séries BL les plus mémorables de 2020, a quitté les paysages idylliques de Phuket pour la jungle urbaine de Bangkok, et en particulier de Siam, l’un des quartiers les plus connus et les plus populaires de la capitale. *Gelboys*, c’est le tableau hyperréaliste des us et coutumes de la génération Z, de ces lycéens thaïlandais branchés qui vivent leurs premiers émois amoureux.
Si *ThamePo* donne à voir un traitement doux et rassurant de son sujet, *Gelboys* se situe à l’opposé : il s’agit d’un instantané. Rien n’est gommé. On a l’impression d’y être. Bienvenue à Bangkok, avec sa foule, sa cacophonie, sa chaleur, son BTS. Il ne manque plus que les odeurs !
Cette approche mimétique crue, si rare dans les séries BL, m’oblige d’ailleurs à me poser cette question : est-on seulement dans un Boys Love (où le couple de protagonistes est toujours garanti d’avoir une fin heureuse) ? Ou s’agit-il d’une tranche de vie, semblable à un roman initiatique queer, ce qui autoriserait une fin ouverte et donc moins facilement prédictible ? On le saura à la fin du septième épisode.
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