# Semaine du 17 fĂ©vrier 2025 *Ces entrĂ©es appliquent l’orthographe rectifiĂ©e. Adieu les petits accents circonflexes ! Pour recevoir gratuitement ma newsletter qui propose une Ă©dition mensuelle de ce Journal, c'est par [ici](https://enzodaumier.substack.com).* ## Mardi 18 fĂ©vrier D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours trouvĂ© difficile d’écrire de maniĂšre neutre, de rapporter les arguments d’autrui ou d’expliquer des concepts. Quand je m’y essaye, je me sens maladroit. La tĂąche m’apparait vite fastidieuse — et c’est certainement l’une des raisons pour lesquelles je procrastine autant quand je veux Ă©crire de la non-fiction. J’écris des histoires depuis l’adolescence. Le « je » et la subjectivitĂ© sont au centre de mes prĂ©occupations. En tant qu’écrivain, rapporter des faits, rien que des faits, ça ne m’intĂ©resse pas. Je ne pourrais pas ĂȘtre journaliste, mais j’admire ces mercenaires du verbe qui Ă©crivent avec aisance et clartĂ©. DĂ©velopper un argument avec Ă©lĂ©gance, tout en attisant l’intĂ©rĂȘt de son lectorat, est un art. L’effort pour y arriver m’apparait parfois insurmontable. --- ## Jeudi 20 fĂ©vrier L’intĂ©rĂȘt d’ĂȘtre fan d’une sĂ©rie, c’est que ça permet de dater le moment exact oĂč l’on a appris un fait.  C’était donc en 2008, en regardant un Ă©pisode de *Doctor Who* (saison 4), que j’ai appris qu’Agatha Christie avait disparu de la surface du monde pendant plusieurs jours avant de rĂ©apparaitre Ă  une heure de chez moi, Ă  Harrogate dans le Yorkshire, et que la raison de sa disparition demeurait inexpliquĂ©e jusqu’à nos jours. « *The Unicorn and the Wasp* » se proposait de boucher les trous, de maniĂšre trĂšs divertissante, avec le Doctor, Donna et une fameuse cabine tĂ©lĂ©phonique bleue
 Il a donc fallu attendre ce jour de fĂ©vrier 2025, grĂące Ă  [la newsletter de Lucy Worsley](https://lucyworsley.substack.com/p/the-non-mysterious-disappearance?), pour que j’apprenne que cette anecdote biographique n’était en rien Ă©nigmatique (malgrĂ© ce que l’on a affirmĂ© pendant des dĂ©cennies). Alors, que lui est-il arrivĂ© vraiment ? En dĂ©cembre 1926, Christie, en pleine dĂ©pression suite aux infidĂ©litĂ©s rĂ©pĂ©tĂ©es de son Ă©poux, attente Ă  sa vie. Ce choc la fait basculer dans un Ă©tat de « fugue dissociative », oĂč la malade abandonne sa fille, oublie son passĂ© et adopte une nouvelle identité  Elle reviendra Ă  elle onze jours plus tard Ă  l’autre bout du pays. Comment le sait-on ? C’est l’autrice elle-mĂȘme qui l’explique dans une longue interview de 1928
 mais n’oublions pas qu’elle vit Ă  une Ă©poque misogyne oĂč l’on prend facilement ombrage du succĂšs commercial Ă©tourdissant d’une femme. On prĂ©fĂšre donc ne pas la croire et s’accrocher Ă  des motifs plus sinistres
 selon lesquels, par exemple, elle aurait Ă©tĂ© une manipulatrice perverse en quĂȘte d’attention pour gonfler ses ventes.  Je me dis que les temps n’ont pas vraiment changĂ©. *The Daily Mail*, Ă  qui elle avait accordĂ© cet entretien il y a presque un siĂšcle, est un torchon qui continue de s’attaquer aux femmes (Meghan Markle Ă©tant la plus connue). Et je ne parle mĂȘme pas de la *vox populi, vox diaboli* que sont les rĂ©seaux sociaux, oĂč les femmes cĂ©lĂšbres sont accablĂ©es d'injures et harcelĂ©es quotidiennement. --- ## Vendredi 21 fĂ©vrier Pour la premiĂšre fois depuis une Ă©ternitĂ©, nous sommes allĂ©s au centre-ville afin de faire quelques emplettes. Comme j’avais besoin de rĂ©confort, et que la prĂ©sence des livres suscite invariablement en moi une vague de bienĂȘtre, nous sommes allĂ©s boire un thĂ© Ă  la librairie Waterstones.  Les livres me grisent. Il n’y a pas d’autres mots. AncrĂ©e profondĂ©ment en moi, il y a cette croyance que ce petit objet, modeste en apparence, peut me sauver de la morne rĂ©alitĂ© et rĂ©volutionner mon existence. Les librairies ou les bibliothĂšques sont, Ă  mes yeux, le terrain de jeu de la sĂ©rendipitĂ©. J’ai fait deux achats, au final : *The Science of Meditation* (2017), de Daniel Goleman & Richard J. Davidson, et *Languages of Truth: Essays 2003-2020* de Salman Rushdie.  Le premier rĂ©pond Ă  des questionnements que j’ai sur le sujet depuis quelques annĂ©es
 et qui sont revenus, vivifiĂ©s, sur le devant de ma scĂšne mentale ces derniers jours (j’ai Ă©coutĂ© plusieurs podcasts sur le bouddhisme et la mĂ©ditation).  Quant au second
 j’aime Rushdie, le romancier et le conteur, sans qu’il ne siĂšge pour autant au faite de mon panthĂ©on littĂ©raire. Mais, dĂšs qu’elle se prĂ©sente, je saisis l’occasion de dĂ©couvrir les essais de celle et ceux dont j’ai aimĂ© les romans. Peut-ĂȘtre que je serai déçu. Peut-ĂȘtre que j’aurai une nouvelle rĂ©vĂ©lation. Nous verrons bien. --- ## Samedi 22 fĂ©vrier Absurde, cette pratique marketing qui consiste Ă  mettre des citations de gens cĂ©lĂšbres sur la couverture, en croyant qu’elles feront vendre. Sur celle du recueil de Rushdie, on peut lire : « Un des plus grands Ă©crivains de notre temps »  par un certain Neil Gaiman. Oups. Gageons qu’elle sera retirĂ©e au prochain tirage. --- ## Dimanche 23 fĂ©vrier Toutes les mĂ©ditations ne se valent pas. J’emploie le pluriel, car il n’existe pas une seule technique de mĂ©ditation, contrairement Ă  ce que le public croit, mais des dizaines, voire des centaines
 TrĂšs souvent, quand on parle de « mĂ©ditation », on fait rĂ©fĂ©rence Ă  la mĂ©ditation de pleine conscience (*mindfulness*). Il semblerait que celle qui rĂ©arrange les circuits neuronaux de maniĂšre durable et le plus rapidement soit celle que l’on appelle « *loving-kindness* », c’est-Ă -dire une mĂ©ditation sur « l’amour bienveillant » (*maitrÄ«* en sanscrit ou *mettā* en pāli), qui permet de dĂ©velopper sa compassion non seulement envers les autres, mais aussi soi-mĂȘme. Il suffirait de huit heures Ă  peine pour voir les premiers effets (passer Ă  l’acte pour aider un Ă©tranger dans le besoin) et de seize heures pour rĂ©duire ses prĂ©jugĂ©s inconscients (*unconscious bias*). (Exemple de prĂ©jugĂ©s inconscients : ce qui est attachĂ© au fĂ©minin ou Ă  la couleur noire est perçu comme Ă©tant nĂ©gatif ou infĂ©rieur.) Pour les pratiques de *mindfulness*, les effets sont en gĂ©nĂ©ral temporaires. Il faut mĂ©diter intensĂ©ment et pendant des annĂ©es pour que le cerveau se mette Ă  fonctionner diffĂ©remment de maniĂšre permanente. À l’heure oĂč l’extrĂȘme droite rĂ©acquiert pignon sur rue et est accueillie dans les hauts lieux du pouvoir les bras ouverts, peut-ĂȘtre que l’introduction de techniques mĂ©ditatives sur « l’amour bienveillant » serait un antidote plus efficace et plus rapide que l’appel Ă  la raison (qui ne sert absolument Ă  rien comme nous avons pu tous en faire l’expĂ©rience sur les rĂ©seaux sociaux ou dans les repas de famille). --- [[Semaine du 2025-02-10|Semaine prĂ©cĂ©dente]] - [[Semaine du 2025-02-24|Semaine suivante]]