# Semaine du 24 mars 2025 *Ces entrées appliquent l’orthographe rectifiée. Adieu les petits accents circonflexes ! Pour recevoir gratuitement ma newsletter qui propose une édition mensuelle de ce Journal, c'est par [ici](https://enzodaumier.substack.com).* ## Mercredi 26 mars L’algorithme de YouTube est, à l’occasion, un agent de la sérendipité.  J’étais trop jeune pour connaitre Arnaud Desjardins (1925-2011), un réalisateur célèbre de documentaires télévisés sur les maitres spirituels dans les années 1960, qui a fondé le premier ashram en France dans les années 1970…  En écoutant quelques entretiens qu’il a donnés quand il avait plus de 80 ans, j’ai été frappé par sa sagesse et par son ouverture d’esprit.  En France, on confond trop souvent religion et spiritualité. Il est vrai que l’une va rarement sans l’autre, mais il ne faut pas les confondre. Le théologien et le mystique ont des natures opposées : le premier représente l’expression de l’orthodoxie, il consolide cette institution qu’est sa religion, il exclut bien plus qu’il n’inclut. Le second incarne l’expression intense de la foi, si intense qu’elle peut se heurter aux limites imposées par l’Église ou le Temple. Ce n’est pas pour rien si les mystiques finissent par être persécutés : ils sont dangereux, car ils n’obéissent pas aux règles rigides d’une foi centralisée.  (Pour être moins sévères envers les théologiens, disons qu’ils représentent la rigueur de l’esprit quand les mystiques incarnent la chaleur du cœur.) --- ## Jeudi 27 mars Fils d’un parent communiste, je me méfie des religions en tant qu’institutions (« la religion est l’opium du peuple », toussa, toussa). Par exemple, je porte assez peu le christianisme dans mon cœur. Je trouve la culpabilité catholique étouffante, l’éthique protestante aride, etc. Je n’aime pas ceux et celles qui vont à l’Église une fois l’an, sans conviction, par convenance sociale, et utilise leur religion pour rejeter ou asservir l’Autre ; en somme, pour contrôler les comportements. (Mais je ne suis pas idiot au point de nier la beauté des paroles de Jésus et la bonté infinie de certain·es chrétien·nes. Et je respecte la foi, car la foi est noble quand elle ouvre l’esprit et le cœur.) Déjà sur les bancs de l’école, le polythéisme me semblait préférable aux monothéismes. Les mentions du mot Dieu (le Seul, l’Unique) me crispent. Je suis obligé de remplacer ce mot par Destin, Univers, ou que sais-je encore, pour me sentir mieux. À mes yeux, il ne peut pas y avoir une seule Vérité ; il doit y en avoir plusieurs et elles doivent pouvoir cohabiter en paix. En somme, j’aime la diversité et l’inclusivité (je sais, mon wokisme ne connait plus de limites !). Ceci explique certainement pourquoi je préfère les philosophies antiques et asiatiques : elles proposent une version plus laïque de la spiritualité (autant que faire se peut). J’aime me balader dans le stoïcisme, l’épicurisme, le bouddhisme et le taoïsme, car leur sagesse (1) m’aide à mieux vivre (il me semble que c’est là la seule obligation de l’être humain).  Hélas, mon caractère m’empêche d’embrasser une seule tradition et de n’explorer qu’elle. Nul doute que d’aucuns trouveront mes intérêts superficiels, mais c’est ainsi. (1) Une sagesse qui est loin d’être parfaite : tous ces mouvements ont exclu les femmes, ou les ont reléguées à un rôle subalterne, et trop souvent, on retrouve des traces de cette misogynie dans leur éthique. Même les Éveillés ne s’arrachent pas facilement des griffes du patriarcat. --- ## Vendredi 28 mars Triste synchronicité. Je découvrais les premiers paragraphes des *Pagodes d’or* de Pierre Loti (récit de son bref séjour en Birmanie en février 1900) pendant que le Myanmar vivait un terrible tremblement de terre, et que les secousses se propageaient jusqu’à Bangkok.  Gageons que le monde entier retiendra la tragédie de Bangkok, mais oubliera vite le peuple birman qui vit, depuis le 1er février 2021, un énième enfer sous le joug de la junte militaire. « Il y a une vingtaine d’années \[1886], quand les Anglais — pour venger un de ces griefs, comme les Européens en ont toujours contre les peuples rêveurs de l’Asie, et qui rappellent ceux du loup contre l’agneau — vinrent surprendre dans leur palais le roi et la reine pour les emmener en captivité à Bombay, et les jetèrent sur une de ces grossières charrettes à bœufs où l’on transporte les sacs de riz, le peuple de la ville se rangea silencieux sur le parcours. Sans s’être concertés, tous, hommes et femmes, au passage de la triste charrette qui emportait leurs souverains et leur indépendance, se prosternaient la face contre terre, déployaient leur longue chevelure, l’étendaient devant eux en tapis, et les roues, jusqu’au sortir des murailles, foulèrent cette noire jonchée vivante… Pauvre gracieuse Birmanie !... » --- ## Samedi 29 mars Cette semaine, je me suis tenu éloigné des réseaux sociaux le plus possible. J’ai éprouvé une certaine forme de paix intérieure : j’ai eu l’impression que mon attention était moins sollicitée par la bêtise humaine, celle, gratuite, qui pullule sur Threads, ou Bluesky, ou X.  Ne nous leurrons pas : je me suis aussi ennuyé. Que faire de ces heures du soir, soudainement libérées ? J’aurais pu lire, et j’ai lu d’ailleurs, mais mon cerveau, fatigué par une longue journée, aurait préféré une solution plus facile. Pas d’effort. Du réconfort. Doomscroller pendant des heures. Passer d’un sujet à l’autre. S’éparpiller. Une habitude vieille de plusieurs années. Ce n'est pas une détox. Je me recentre juste. J’ai besoin de faire le point sur ma vie qui s’est fracturée il y a quelques semaines. --- ## Dimanche 30 mars Il y a si peu de franc soleil dans la région que lorsqu’il apparait, c’est comme si toutes les pensées négatives disparaissaient en même temps que les nuages. Le gris de Sheffield laisse place à une luminosité éblouissante et rare. L’humeur se fait plus légère. L’espoir renait. --- [[Semaine du 2025-03-17|Semaine précédente]] - [[Semaine du 2025-03-31|Semaine suivante]]