# Semaine du 14 avril 2025
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## Mardi 15 avril
Les cerisiers du parc sont en fleurs. Émerveillement.Â
Devant l’un d’entre eux, délicatement rose, symbole de l’impermanence dans laquelle nous vivons toustes, pendant un bref moment, je me suis imaginé au Japon ou en Corée du Sud…
Serais-je aussi sensible Ă cette beautĂ© sans les sakuras qui peuplent les mangas, les manhwas et les sĂ©ries tĂ©lĂ© de ces deux pays ? Je n’en suis pas sĂ»r.Â
Il me semble qu’il faut cultiver cette faculté : s’arrêter, sortir de ses pensées, regarder autour de soi et éprouver à travers tous ses sens la beauté grandiose de la nature. Quand on vit à la campagne, c’est une évidence ; mais en ville, ça demande un effort conscient.
Et dans le cas des cerisiers en fleurs : il faut apprendre Ă sortir au bon moment du printemps, car, très vite, les fleurs roses ou blanches finissent par s’envoler au vent.Â
Et de cette beauté, il ne reste plus rien.
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## Jeudi 17 avril
Je suis fascinĂ© par ce que la science a Ă dire des phĂ©nomènes psychiques, du surnaturel, des superstitions, des miracles, etc. En tant qu'Ă©crivain de SFFF, ces sujets m’intĂ©ressent. Je ne suis pas le seul, c’est le cas d’une grande partie de la population (que les gens veuillent le reconnaitre publiquement ou pas). Je n’en Ă©prouve aucune honte : je suis curieux et garde mon esprit ouvert autant que possible (c’est ainsi que l’on apprend).Â
Mais mon intérêt ne veut pas dire que je suis crédule pour autant. Je suis sceptique de nature. Tant que je n’en fais pas l’expérience moi-même, je ne peux pas tirer de conclusions. Et si j’en fais l’expérience, il faut savoir raison garder : plusieurs explications sont possibles. Prenons le temps de les considérer, avec calme et logique.
Quand je m’interroge sur un phénomène, j’aime m’en remettre aux sciences en premier lieu. Mais jamais aveuglément. Je remarque que beaucoup de gens, qui se disent rationnels, tirent des conclusions beaucoup trop vite : ils en viennent à croire qu’une absence de preuves est une preuve d’absence (est-ce de la paresse intellectuelle ? *Who knows…*). Et quand il y a des résultats qui remettent en cause leur vision du monde, ça critique la méthode, ça attaque le caractère des scientifiques qui ont fait l’expérience, ça tombe parfois dans un intégrisme qui trahit ce que représentent la méthode et l’esprit scientifiques. Chez certaines personnes, la science et le matérialisme ressemblent étrangement à une croyance dogmatique.
Évidemment, quand j’écris ces lignes, je n’ignore pas le contexte dans lequel nous nous trouvons actuellement : il y a des imbéciles pour croire que la Terre est plate, que les vaccins sont nuisibles à la santé et que sais-je encore. Les charlatans pullulent, et leurs idées malodorantes se répandent sur les réseaux sociaux. La désinformation gangrène les débats publics… La science est attaquée de tous bords.
Il est de notre devoir de la défendre mordicus, sans pour autant lui vouer un culte. Voilà qui exige quelques talents d’équilibriste !
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## Vendredi 18 avril
L’autre jour, j’écoutais un podcast avec l’écrivain belge Éric-Emmanuel Schmitt. Il y racontait ses deux expériences mystiques : celle qu’il a vécue dans le désert algérien lorsqu’il avait 29 ans et celle, plus récente et tout aussi inattendue, qui le surprend en pleine visite du Saint-Sépulcre en 2022.
Ce qui me marque, ce sont les similitudes entre ces extases religieuses et les expĂ©riences des mĂ©ditants de haut niveau (qui ne sont pas nĂ©cessairement religieux et qui sont issus de traditions du monde entier). Toustes rapportent un contact avec un principe primordial : Yaweh, Dieu, Allah, pour les traditions abrahamiques ; la nature de Bouddha, la Conscience, l’Univers, la Source, etc., ailleurs. Â
L’ineffable est au cœur d’une telle expérience transcendantale, et celui ou celle qui témoigne n'a pas d'autre choix que d'employer des métaphores, c'est-à -dire un véritable langage poétique. Je soupçonne que toutes ont en commun la dissolution (momentanée ou définitive) du Moi, mais le discours est coloré par le contexte culturel : l’Amour chez les chrétiens (*of course*), le Vide chez les bouddhistes zen, etc.
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## Samedi 19 avril
Je suis opposĂ© Ă la *cancel culture*, c’est-Ă -dire Ă l’appel au boycott d’individus car iels tiennent des propos qui nous dĂ©rangent. Ă€ mes yeux, ce sont des tactiques de cyberbullying. J’abhorre toute forme d’intimidation, mĂŞme quand la victime est un bourreau. La vindicte populaire est dangereuse, surtout quand elle se croit moralement justifiĂ©e. Ça peut vite dĂ©raper.Â
Dans les faits, je refuse d’avoir affaire aux auteurices problématiques : Rowling, en particulier, en est venue à me dégouter *physiquement*, et je ne porte plus *Harry Potter* dans mon cœur depuis quelques années. La saga est devenue coupable pas association. C’est aussi le cas de Gaiman, pour les raisons que l’on connait. Qui cause de la souffrance à mes contemporain·es ne mérite ni mon respect ni mon temps, et encore moins mon argent.
Je considère, toutefois, que l’œuvre et l’artiste sont sĂ©parĂ©s. La valeur d’un roman doit ĂŞtre jugĂ©e sans que la rĂ©putation de sa crĂ©atrice n’interfère.Â
Mais il y a des limites. Lirais-je les Ă©crits d’un homophobe du 19e ou du 20e siècle ? Oui, sans la moindre hĂ©sitation, d'autant plus si le roman ne garde aucune trace de ses croyances nausĂ©abondes. Ferais-je de mĂŞme s’il Ă©tait encore en vie ? Non.Â
Le passage du temps offre une distance bienvenue, qui permet une lecture dépassionnée. Quand le bourreau et la victime ne sont plus de ce monde, il ne sert à rien de rejouer le procès dans sa tête. Mais quand les victimes (potentielles ou avérées) sont bien vivantes, et que l’artiste a encore le pouvoir de répandre le mal autour d’ellui, il faut savoir incarner ses valeurs et refuser de tolérer l’intolérable. Je n’appellerai pas au boycott, mais je boycotte sans la moindre hésitation.
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## Dimanche 20 avril
Dans sa newsletter du jour, James Horton donne Ă lire « [A Guide to “Voice” for Writers Who Hate Vague Advice](https://psych4writers.substack.com/p/a-guide-to-voice-for-writers-who) » avec de bons conseils pratiques.Â
Pour rĂ©sumer son propos : attention (*mindfulness*) et dĂ©tails contribuent grandement au dĂ©veloppement d’une « voix » unique.Â
Il a certainement raison, mais ce n’est pas la validité de ses conseils qui m’intéresse ici.
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Apparemment, nous vivons dans un monde où *écrire* ne suffit plus (et plus largement où *être* ne suffit plus). Il faut avoir une voix unique : l’écriture devient l’expression de l’individualisme triomphant. Nous devons obligatoirement nous démarquer des autres. Si tu écris comme le voisin, c’est que tu t’y prends mal.
Se prĂ©occuper de sa voix, c’est prendre le problème par le mauvais bout : le but de tout Ă©crit (allez, soyons fous : mĂŞme d’un roman) est d’exprimer le plus clairement (et le plus agrĂ©ablement) possible ses idĂ©es afin de les transmettre Ă autrui. La voix est une consĂ©quence de cette pratique assidue. Pas sa finalitĂ©.Â
Quand je parle à un ami, je ne m’inquiète pas de ma voix : elle est là . Si je me préoccupe de mon originalité, mon message perd de sa clarté. Quand j’écris, c’est pareil.
Le markéting, qui ne peut exister sans cette différenciation, distord notre vision des choses. Il nous fait croire que l’originalité est ce qu’il y a de plus important (l’originalité fait vendre, nous répète-t-on *ad nauseam*). Mais la recherche de l’originalité repose sur un paradoxe : on ne devient original que lorsque l’on cesse de vouloir l’être. La voix émerge naturellement ; pas besoin de la forcer.
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