# Semaine du 28 avril 2025
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## Mercredi 30 avril
La cohabitation, qui suit une sĂ©paration, n’a pas Ă ĂŞtre infernale.Â
Ce n’est pas une pĂ©riode facile pour autant : une parole ou un geste dĂ©placĂ©s peuvent vite Ă©clater en dispute. L’un est habitĂ© par la culpabilitĂ©, l’autre par la rancĹ“ur : l’expĂ©rience n’est pas la mĂŞme selon qu’on a mis fin Ă la relation ou qu’on subit cette dĂ©cision.Â
Mais je trouve que céder aux récriminations n’amène rien de bon ; jouer la victime, c’est une solution facile. Je préfère me concentrer sur le positif : la relation n’a pas pris fin, elle évolue, elle part dans une nouvelle direction. J’accueille ce changement avec curiosité, à défaut de l’avoir désiré. L’amour évolue donc en amitié, ou plutôt, nous ne perdons pas de vue ce qui avait fait la solidité de notre couple : la compréhension, l’entraide et le respect demeurent. Tant qu’il faudra cohabiter, nous ferons les efforts nécessaires pour maintenir ce partenariat. Et après ? Peut-être que nous resterons amis ; peut-être que nous ne voudrons plus nous voir.
Il faut être deux pour danser. Le futur de cette relation, la forme qu’elle prendra et les mots que nous utiliserons pour la définir ne dépendent pas de moi seul. Ces derniers mois ont été une leçon magistrale dans l’art du lâcher-prise : dans la vie, on ne maitrise pas grand-chose, pas même le peu que l’on croit maitriser.
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## Jeudi 01 mai
Écrire des histoires me manque.Â
*To be fair*, je vis très bien sans en Ă©crire : quand le soleil apparait, j’ai la libertĂ© de me rendre dans le jardin, d’aller me promener, ce qui ne serait pas le cas, si je devais Ă©crire durant mes moments d’oisivetĂ© (eh oui, car la vie est ainsi faite qu’un mĂ©tier chronophage est nĂ©cessaire pour payer ses factures ! VDM.). Â
Mais j’éprouve un plaisir absolu à vivre dans mes histoires, en compagnie d’une foule de personnages, dont le caractère se construit à mesure que je pense à eux. C’est une occasion merveilleuse d’échapper à la morosité du quotidien. Durant ces moments-là , je me sens… utile. Ma vie a un sens.
Depuis que je n’écris plus d’histoires, mon existence en a moins… ou plutôt, je ne sais quel sens lui donner. Qu’est-ce donc qu’un romancier qui n’écrit plus de fiction ? Un romancier-jachère ? Un romancier-désert ? Un romancier-mort ?
Certes, ce journal est la preuve que j’écris encore. Je n’ai pas remisé ma casquette d’écrivain. Il m’occupe un peu, il me fait utiliser mes « petites cellules grises », comme dirait Poirot, mais il ne comble pas le besoin que j’ai d’utiliser mon imaginaire… et à mesure que les mois passent, que les saisons changent, je sens ce besoin grandir.
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## Vendredi 02 mai
La plupart de ceux et celles qui sont convaincus qu’ils auraient été du côté des Résistants sous Vichy ne se connaissent pas. Ils confondent leur véritable nature avec l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Ils s’imaginent en héros ou en héroïnes, ils sont — évidemment ! — les *good guys* de l’Histoire.
Il ne s’agit pas d’un choix binaire : je vais devenir rĂ©sistant ou collabo, ĂŞtre le hĂ©ros ou le mĂ©chant. Non.Â
En réalité, il y a une troisième voie, celle que la majorité de la population choisit : se taire et ne rien faire. (Ou pour être plus juste et reconnaitre qu’il ne s’agit pas d’une position passive : lutter pour survivre au milieu du chaos.)
Nous avons donc affaire à un éventail : les extrêmes sont faciles à identifier. Pour ou contre. Mais le vaste milieu est trouble, moralement gris. C’est là que se situe la majorité des gens. Et c’est donc là , en toute logique, que nous avons le plus de chance de nous trouver.
Qu’est-ce qui nous pousse vers les extrĂŞmes ? Comment en arrive-t-on Ă passer Ă l’acte ? Est-ce... notre personnalité ? Nos valeurs ? Un incident traumatique qui affermit notre rĂ©solution ?Â
Quand j’étais adolescent, convaincu naïvement que l'Occident avait appris les leçons de la Seconde Guerre mondiale, je pensais que de telles réflexions étaient purement oiseuses… Mais en voyant ce qui se passe en Israël, aux États-Unis et ailleurs, et qui ne manquera pas d’arriver en Europe (je le crains), je m’aperçois que nous pourrions être confrontés à ce choix, une fois encore.
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## Samedi 03 mai
Manchester, un samedi après-midi. La foule partout. Je ne crois pas que je sois fait pour vivre dans les grandes villes. Trop de monde, trop d’agitation. C’est bien de passer une journée dans cette jungle. Mais pas plus longtemps. Certes, il suffirait de se réhabituer : j’ai vécu à Paris et à Londres. C’était même agréable (surtout Londres, avec ses parcs !).
Mais plus je vieillis, plus j’aspire à une vie calme et contemplative. Pas sûr que je sois prêt à retourner à mon Ariège natale (*horresco referens*), mais je mesure la qualité d’une vie passée le plus près possible de la nature, où le temps se mesure différemment et où l’on perçoit avec plus de clarté l’essentiel (si l’on s’en donne la peine, évidemment).
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## Dimanche 04 mai
Passionnant [article](https://www.newyorker.com/culture/the-weekend-essay/will-the-humanities-survive-artificial-intelligence) sur l’IA et le futur des humanitĂ©s, par un professeur de l’UniversitĂ© de Princeton.Â
La crise que nous vivons actuellement n’aura pas que des effets négatifs. Il est bon de le rappeler. Il se pourrait qu’elle permette à l’humanité de clarifier ce qu’être humain veut dire, surtout si l'on assiste à l’émergence d’une conscience ou d’une intelligence capable de rivaliser avec la nôtre. (Certes, nous n’en sommes pas encore là , mais tout va très vite : qu’en sera-t-il dans dix ans ? Ou même dans deux ou trois ans à peine ?)
Bien Ă©videmment, ce faisant, on risque d’aggraver la crise climatique et de dĂ©passer le point de non-retour (si ce n’est pas dĂ©jĂ fait).Â
On risque aussi d’avoir une gĂ©nĂ©ration d’humains incapables de penser par eux-mĂŞmes : des assistĂ©s de la pensĂ©e (car rĂ©flĂ©chir, c’est dur… et nous sommes câblĂ©s pour choisir la solution qui nous demande le moins d’énergie possible).Â
L’autre jour, Clara me racontait, horrifiée, que ses sixièmes avaient commencé à utiliser ChatGPT pour faire des exercices de grammaire. Des sixièmes ! Plus besoin de faire travailler sa mémoire, ni même d’essayer de comprendre les consignes. Quel pied ! Je ne leur jette pas la pierre : à leur âge, je n'aurais pas été assez mature pour comprendre que je sabordais mon éducation.
La technologie est un outil… Un outil n’est ni bon ni mauvais, c’est l’usage qu’on en fait qui le détermine… Mais pas besoin d’un épisode de *Black Mirror* pour nous faire comprendre qu’une population qui accepte de sous-traiter sa pensée (et la gestion de son quotidien), et ce dès le plus jeune âge, court à sa perte. Surtout si la machine n’est pas neutre et a pour seule mission de nous manipuler et de nous exploiter. N'oublions jamais qu’OpenAI et comparses sont des entités *commerciales* dont le but est de vendre nos données aux plus offrants ou de les utiliser elles-mêmes afin d’assoir leur hégémonie. Il n’y a rien de bienveillant dans leur approche.
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