# Semaine du 19 mai 2025
*Ces entrées appliquent l’orthographe rectifiée. Adieu les petits accents circonflexes ! Pour recevoir gratuitement ma newsletter qui propose une édition mensuelle de ce Journal, c'est par [ici](https://enzodaumier.substack.com).*
## Mardi 20 mai
En ce moment, je prends beaucoup de plaisir à continuer ma lecture des *Chroniques de l’Étrange* de Pu Songling. Il s’agit d’un classique chinois du 17e siècle, publié en deux tomes chez Picquier Poche et traduit par le célèbre sinologue André Lévy (1925-2017).
Le style classique de Lévy est superbe. C’est une langue qui m’impressionne : les phrases y sont élégantes mais simples, le vocabulaire riche et soutenu.
Je crois que j’aurais aimé pouvoir écrire ainsi mes histoires de fantasy ou mes récits d’inspiration historique. J’en suis évidemment incapable, ce qui n’est peut-être pas une mauvaise chose : la plupart des lecteurices contemporain·es aiment peu la langue littéraire… surtout dans les genres où je traine mes guêtres (l’homoromance et la SFFF).
Mais c’est le contenu de ces chroniques qui m’enthousiasme le plus : une myriade de rĂ©cits fantastiques, allant de l’anecdote de quelques lignes Ă peine Ă des nouvelles dĂ©ployĂ©es sur plusieurs pages.Â
Parfois, il faut bien l’avouer, je n’y comprends rien et je ne perçois aucun intĂ©rĂŞt Ă ce que je lis… mais plus souvent peut-ĂŞtre, une chronique pique ma curiosité ; mon imaginaire est transportĂ© par l’apparition d’une crĂ©ature surnaturelle ou la mention d’une croyance locale.Â
Ce soir, j’ai été ému par l’amitié éthylique et improbable entre un pécheur et un fantôme, qui devient le génie protecteur d’une province éloignée.
Évidemment, en lisant les *Chroniques de l’Étrange*, j’ai envie de me remettre à mon *Démon blanc*. Ça ne devrait guère me surprendre : quand j’écrivais les aventures de Lao et de Kaecilius, je lisais l’édition anglaise de ce classique chez Penguin Classics (*Strange Tales from a Chinese Studio*).
---
## Mercredi 21 mai
LĂ©vy fait un usage très classique (et scolaire, pour ainsi dire) du prĂ©sent dans ses traductions.Â
<div style="text-align: center;">*</div>
Contrairement aux langues indo-européennes, la morphologie du verbe en chinois classique n’exprime aucune valeur temporelle (c'est vrai, aussi, du mandarin contemporain) : on utilise la même forme pour le passé, le présent ou le futur (et pareillement pour le singulier ou le pluriel, etc.). C’est une notion linguistique difficile à appréhender quand on est habitué aux temps verbaux… C’est un peu comme si on utilisait l’infinitif du verbe dans toutes nos phrases : *Pierre aller au marché ; le chien et le chat se promener dans le parc ; hier, je découvrir un bon restaurant.*
<div style="text-align: center;">*</div>
Dans les *Chroniques de l’Étrange*, Lévy utilise, principalement, l’imparfait et le passé simple… mais au détour d’une phrase, un présent de narration fait son apparition :
« *Pire : au lieu de suivre son chemin, elle s’approchait lentement du lit. Il fit semblant de dormir pour observer ce qui allait s’ensuivre.* La voilà qui lève sa jupe, monte dans le lit et pèse de tout son poids sur son ventre : *il avait l’impression d’être écrasé sous trois-cents livres ! Son cœur battait la chamade.* »
J’ai trouvĂ© aussi des prĂ©sents Ă valeur de vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale :Â
« *Il y avait à Longmont un vieil homme passionné de travaux agricoles, dénommé An.* À l’automne, quand les blés noirs sont murs, on les fauche et les entasse sur le talus des diguettes. *Comme la présence de pillards de récolte au village voisin exigeait la plus grande vigilance, il avait ordonné à ses ouvriers…* »
J’ai l’impression que cet art de la narration n'est plus trop pratiquĂ© de nos jours, n’est-ce pas ? Si un texte est Ă©crit au passĂ©, tout est au passé ; le prĂ©sent n'est tolĂ©rĂ© que dans les dialogues.Â
Tout se perd, ma pauvre Lucette !
Je ne veux pas jouer, ici, les vieux grincheux : il faut vivre avec son temps ; je suis heureux de constater que les gouts évoluent et que les techniques d’hier sont adaptées aux besoins et aux envies d’aujourd’hui. Je le suis beaucoup moins quand je remarque — anecdotiquement — un appauvrissement des outils narratifs que les écrivain·es ultracontemporain·es utilisent (et que, par conséquent, les lecteurices sont capables de tolérer).
---
## Vendredi 23 mai
Sensation oppressante lorsque quelqu’un me demande ce que je vais faire de mon long weekend fĂ©riĂ©.Â
En un seul mot : *rien*.
Et si je devais développer : je vais faire mille découvertes et vivre mille révolutions… Mes heures seront soumises à la sérendipité et, autant faire se peut, je cultiverai la joie simple d’être au monde. Ce weekend n’aura rien de glamour, rien d’instagrammable, pas même une anecdote intéressante à partager avec les collègues mardi matin.
---
## Samedi 24 mai
L’administration Trump continue sa petite guéguerre avec Harvard et veut maintenant l’empêcher de recruter des étudiants étrangers… Son imbécilité n’est plus à prouver, mais quand même !... Il faut être très sot pour ne pas comprendre le concept de *soft power*. En voulant soumettre Harvard et les autres universités, le gouvernement se tire une balle dans le pied. Une balle de plus, me direz-vous, car Trump a des idées brillantes tous les jours sur tous les sujets possibles et imaginables.
C’est fascinant de voir la première (seconde ?) puissance mondiale se saborder de la sorte. Si elle voulait faire le jeu de la Chine, elle ne s’y prendrait pas autrement.
---
## Dimanche 25 mai
Je viens de commencer la lecture de *King, Warrior, Magician, Lover : Rediscovering Masculinity Through the Lens of Archetypal Psychology – A Journey into the Male Psyche and Its Four Essential Aspects* (1992) de Robert Moore et Douglas Gillette.
L’introduction dĂ©veloppe l’idĂ©e que les malheurs qui affligent notre sociĂ©tĂ© contemporaine sont, en partie, dus au fait que les hommes sont immatures et coincĂ©s dans ce que Moore et Gillette appellent la « *boy psychology* » (par opposition Ă la « *man psychology* », qui est, elle, positive et respectueuse de son environnement et des ĂŞtres vivants). C’est ainsi qu’ils expliquent les dĂ©rives patriarcales et la violence systĂ©mique faite aux femmes et aux minoritĂ©s. (Le masculinisme ultracontemporain qui fleurit sur internet en ce moment serait donc un symptĂ´me de cette « *boy psychology* ».)Â
Contrairement à certains courants féministes, qui affirment que les hommes doivent embrasser la part féminine de leur psyché afin de mettre un terme à cette violence, Moore et Gillette développent une opinion plus nuancée sur la masculinité. Selon eux, il est vital d’avoir des modèles masculins sains et mâtures dans son entourage afin de pouvoir passer de la *boy psychology* à la *man psychology*.
L’homme queer que je suis se crispe dès que le mot « masculinité » apparait sur la page. C’est le signe, sans aucun doute possible, que mon esprit a une vision (très) péjorative de l’homme « masculin »… Pour moi, la masculinité se limite à la *boy psychology*. Je ne l’imagine pas autrement que toxique (ce qui est injuste, je dois le reconnaitre). Cette crispation ou cet inconfort m’indique que c'est un sujet qui mérite d’être creusé. Je vais donc essayer de continuer ma lecture… et voir où cette exploration des archétypes masculins va me mener.
---
[[Semaine du 2025-05-12|Semaine précédente]] - [[Semaine du 2025-05-26|Semaine suivante]]