# Semaine du 23 juin 2025
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## Mercredi 25 juin
Ces derniers jours, j’ai regardĂ© Ă nouveau quelques sĂ©ries corĂ©ennes que j’avais beaucoup aimĂ©es (je leur avais attribuĂ© un 10/10 sur MyDramaList.com) : *Business Proposal* (2022), *Because This is my First Life* (2017), *Celebrity* (2023) et, aujourd’hui, *Remarriage & Desires* (2022).Â
Elles m’avaient laissé assez peu de souvenirs dans l’ensemble (à l’exception de la première que j’ai regardée pour la troisième fois ! Je pense que je peux dire à ce stade qu’elle fait office de série-doudou.).
Un constat que je fais à chaque fois : je suis incapable de retenir les noms (coréens) des personnages ; ma mémoire s’y refuse tout bonnement. Comme je regarde ces séries en VO avec sous-titres plutôt que doublées en français ou en anglais, j’ai droit aux noms originaux (ça fait partie du charme, même si je dois régulièrement me référer à la liste des acteurs/personnages sur MyDramaList pour savoir de qui ils parlent dans certaines scènes).
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## Jeudi 26 juin
*This is my First Life* m’a moins impressionné cette fois-ci (disons qu’elle ne mérite plus un 10/10), même si elle a su maintenir mon intérêt du début jusqu’à la fin. C’est tout l’intérêt d’un revisionnage ; il permet de vérifier si la fascination est toujours au rendez-vous.
Le *fake marriage* (la version hardcore du *fake dating* particulièrement plausible en CorĂ©e oĂą la pression sociale est très forte) est un trope bien connu de la romance, mais ce qui m’a intĂ©ressĂ© ici, ce sont les protagonistes : le *male lead*, indiffĂ©rent Ă toute Ă©motion romantique, n’a aucune envie d’être en couple. Il a programmĂ© sa vie au millimètre près et dĂ©teste tout ce qui pourrait la dĂ©railler. Satisfait par ce rythme de croisière, ses ambitions dans la vie sont assez modestes : son Ă©panouissement personnel se limite Ă un emploi chronophage… et Ă son chat. Son caractère abrasif (d’aucuns pourraient dire asocial) me l’a rendu très sympathique.Â
La *female lead*, quant à elle, n’a pas eu une vie facile. Ses aspirations artistiques frustrées et sa décision de tourner la page pour de bon ont suscité quelques échos intéressants en moi. Son rapport à l’amour est peut-être le plus intéressant : elle accepte ce *fake marriage* non par idéologie mais suite à une déception de trop. Peut-elle arriver à se convaincre qu’elle n’a pas besoin d’une relation amoureuse épanouissante ?
Mais n’oublions pas les meilleures amies de la protagoniste qui offrent deux autres exemples de relations amoureuses difficiles : l’une est en couple depuis sept ans, rêve de mariage, mais son copain ne semble pas prêt à s’engager davantage ; la seconde, qui évolue dans un milieu professionnel sexiste, enchaine les plans cul, convaincue que sa situation familiale n’est pas propice à une relation stable et durable.
On reconnait la qualité de l’écriture au soin porté aux couples secondaires : ils renforcent la réflexion sur l’amour (et la vie) par un jeu d’échos et de contrastes. C’est ce qui fait la richesse d’une série romantique (ou d’un roman du même genre) : les personnages secondaires participent de l’atmosphère de l’histoire. Les scénaristes (ou auteurices) qui les ignorent produisent assez souvent des histoires de médiocre qualité.
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## Vendredi 27 juin
« La notion de bibliothèque est fondée sur un malentendu, à savoir qu’on irait à la bibliothèque pour chercher un livre dont on connait le titre. C’est vrai que cela arrive souvent mais la fonction essentielle de la bibliothèque, de la mienne et de celle de mes amis à qui je rends visite, c’est de découvrir des livres dont on ne soupçonnait pas l’existence et dont on découvre qu’ils sont pour nous de la plus grande importance. » (Umberto Eco)
Autre malentendu : la bibliothèque personnelle ne témoigne pas de ce que nous avons lu, mais du désir de lecture qui a été le nôtre — désir assouvi, contrarié ou renvoyé aux calendes grecques.
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## Samedi 28 juin
Plus tĂ´t dans la semaine, j’ai commencĂ© *Victory City* (2023), le quinzième et dernier roman de Salman Rushdie. Dans la mĂŞme veine que *The Enchantress of Florence* (2007) et de *Two Years Eight Months and Twenty-Eight Nights* (2015), la *CitĂ© de la victoire* est une cĂ©lĂ©bration de la poĂ©sie et de l’art du conteur.Â
Le roman se prĂ©sente comme une réécriture contemporaine d’un long poème Ă©pique Ă©crit en sanscrit et composĂ© par la protagoniste Pampa Kampana. Dès les premières pages, on apprend qu’elle est morte Ă l’âge canonique de 247 ans et qu’une dĂ©esse du mĂŞme nom prend possession de son corps en Ă©change de dons surnaturels.Â
Rushdie fait donc partie de ces « réalistes d’une plus large réalité » dont parlait Le Guin (dans son discours de remerciement lors de la remise des National Book Awards 2014). Je regrette que cette tradition ne soit pas mieux représentée en France, où la puissance de l’imaginaire, dans la littérature blanche, est toujours suspecte. Il semble qu’on la célèbre volontiers dans la littérature étrangère, mais qu’on la méprise encore quand elle essaye de s’épanouir sur nos rivages francophones.
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## Dimanche 29 juin
Dans une lettre de 1811, Lord Byron écrit au sujet de John Edleston, un choriste de Cambridge, qu’il avait rencontré quand il avait 17 ans et qu’il surnommait sa « cornaline » :
« J’ai appris l’autre jour un décès qui m’a choqué plus que tous les précédents \[sa mère et deux autres amis étaient morts récemment], celui d’une personne que j’aimais plus que je n’ai jamais aimé un être vivant, et qui, je crois, m’a aimé jusqu’à la fin, et pourtant je n’ai pas versé une larme pour un évènement qui, il y a cinq ans, m’aurait fait tomber dans la poussière ; cela pèse encore sur mon cœur et me rappelle ce que je souhaite oublier, dans de nombreux rêves fiévreux. »
Dans cet excellent [article](https://theconversation.com/communautes-lgbtqia-les-lettres-de-byron-sources-precieuses-pour-lhistoire-227945) publié sur TheConversation.com, Sam Hirst (Université de Nottingham) s’efforce de mettre au jour cette passion homosexuelle, qui témoigne de la bisexualité du célèbre poète britannique.
Mais les difficultés sont nombreuses : « Les chercheurs sur Byron sont généralement confrontés à une surabondance de matériel, mais son homosexualité reste une question de fragments. La recherche sur sa sexualité nécessite un lent processus d’apprentissage pour reconnaitre et relier les codes et les fils de sa prose et de ses vers.
Dans le cas de Byron, des gardiens trop zélés de sa réputation posthume — dont sa sœur, son éditeur et ses amis — n’ont pas résisté à la tentation de bruler ses mémoires. Il ne reste que peu d’indices à partir desquels imaginer ce qu’ils auraient pu contenir.
Un autre problème, c’est que, bien souvent, lorsque l’homosexualité de Byron est évoquée par ses contemporains, c’est sous forme d’accusations, par exemple, lorsqu’on rapporte une conversation entre Lady Caroline Lamb (une ancienne maitresse) et Anna-Bella Millbanke (l’épouse de Byron, dont il était séparé).
D’autres lettres et sources ont été perdues et la correspondance de Byron sur le désir homosexuel est souvent codée. Il écrit à ses amis de Cambridge avec des références sténographiques partagées, généralement basées sur des allusions classiques qui sont difficiles à décrypter pour les non-initiés. »
Quant aux témoignages du poète lui-même, ils sont enjolivés. En 1807, il écrivait par exemple : « Sa voix attira d’abord mon attention, son beau visage me la retint et le charme de ses manières me l’attacha pour toujours. (…) Pendant toute la durée de ma résidence à Cambridge, nous nous sommes vus tous les jours, été comme hiver, sans nous ennuyer un seul instant. » On sait qu’il était rarement à Cambridge, préférant Londres et ses plaisirs… Mais comme le fait remarquer Sam Hirst, ce qui importe, c’est moins la réalité que son désir de présenter cette relation sous ce jour-là .
Il y a une histoire à écrire sur Byron et Edleston… Un roman, ou une nouvelle pour imaginer six années d’une passion amoureuse, condamnée au secret et à la tragédie : celle-ci prend fin à la mort prématurée du choriste à l’âge de 21 ans, alors que Byron faisait son tour d’Europe.
Le poète portera la bague en cornaline que son jeune amant lui avait offerte jusqu’à la fin de sa vie, treize années plus tard, en 1824 (il avait 36 ans).
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