# Semaine du 11 août 2025
*Ces entrĂ©es appliquent lâorthographe rectifiĂ©e. Adieu les petits accents circonflexes ! Pour recevoir gratuitement ma newsletter qui propose une Ă©dition mensuelle de ce Journal, c'est par [ici](https://enzodaumier.substack.com).*
## Lundi 11 août
Sur les classiques en SFÂ (Azimov & companie):Â
«âLe âcanonâ nâest pas apparu comme par hasard. Il est le rĂ©sultat de choix : ceux des Ă©diteurs, qui ont privilĂ©giĂ© certains auteurs et certains points de vue, et ceux des lecteurs et des âfansâ autoproclamĂ©s, qui ont sĂ©lectionnĂ© certaines de ces Ćuvres et certains de ces auteurs pour les canoniser. (âŠ) Peut-ĂȘtre â voici une rĂ©flexion qui nâest pas du tout originale de ma part, mais que je suis heureux dâamplifier maintenant â devrions-nous simplement abandonner lâidĂ©e que la science-fiction a besoin dâun canon. Car, encore une fois, dâun point de vue *pratique* pour les lecteurs et les Ă©crivains actuels, elle nâen a pas et nâa pas besoin dâen avoir un. (âŠ) Laissez les Ćuvres et les auteurs se dĂ©marquer ou Ă©chouer selon leurs propres mĂ©rites, auprĂšs des auteurs et des lecteurs modernes qui composent aujourdâhui le domaine de la science-fiction.â» (John Scalzi, [Oh Christ Not the Science Fiction Canon Again](https://whatever.scalzi.com/2020/08/07/oh-christ-not-the-science-fiction-canon-again/))
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## Mardi 12 août
Les auteurs au succĂšs commercial stratosphĂ©rique mâintĂ©ressent, non pour leur contribution Ă la LittĂ©rature (avec un grand L, siouplait), qui est souvent trĂšs limitĂ©e, mais parce quâils nous enseignent quelque chose sur les gouts de nos contemporains.Â
James Patterson est lâun dâentre eux, si ce nâest le premier. Le *primus inter pares* de la fiction commerciale amĂ©ricaine.Â
En 40 ans, il a produit 158 titres et vendu 325 millions de copies. Son succĂšs est tel que lâannĂ©e derniĂšre, son Ă©diteur amĂ©ricain estimait quâun grand format (*hardback*) sur vingt-et-un avait son nom sur la couverture (trĂšs souvent, Patterson fournit les idĂ©es et le sĂ©quencier tandis quâun·e auteurice moins connu·e Ă©crit le resteâ; câest un peu comme Ă lâusine, nâest-ce pasâ?). Ses droits dâauteur annuels sâĂ©lĂšveraient Ă 89 millions de dollars. Excusez du peu.
On peut Ă©videmment se lamenter sur les clichĂ©s qui abondent dans sa fiction ou encore le degrĂ© zĂ©ro de son style. Mais, sâiel est sincĂšre, tout·e auteurice reconnaitra quâĂ©crire un roman, mĂȘme dans un style simple et accessible, nâest pas facile. Tout le monde ne peut pas faire ce quâil fait. Instinctivement, James Patterson sait ce qui plaira Ă son lectorat⊠Un tel instinct devrait forcer lâadmiration. Ăvidemment, la machine marketing qui le soutient dans les coulisses est aussi trĂšs bien huilĂ©e, mais il ne serait pas lĂ oĂč il est aujourdâhui sans une comprĂ©hension subtile des attentes de beaucoup de ses lecteurices.
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## Mercredi 13 août
«âLâapparition de personnages LGBTQ+ et de genre fluide dans la littĂ©rature thaĂŻlandaise remonte Ă lâĂ©poque oĂč celle-ci Ă©tait encore Ă©crite en vers mĂ©triques. Un exemple intĂ©ressant est celui dâ*Inlarat Kham Chan*, Ă©crit en 1913 par Phraya Sisunthonwohan (Phan Salak), qui met en scĂšne un personnage qui passe sans cesse du genre masculin au genre fĂ©minin. En tant que femme, le personnage a des relations sexuelles avec un personnage masculin, mais une fois revenu Ă sa forme masculine, il nâa plus aucun souvenir dâavoir Ă©tĂ© une femme. Cette histoire de fluiditĂ© sexuelle et de genre est racontĂ©e Ă la maniĂšre dâun conte de fĂ©es ancien avec de la magie et des divinitĂ©s locales, mais elle ne figure pas parmi les plus connues de cette pĂ©riode et nâest gĂ©nĂ©ralement pas classĂ©e dans la littĂ©rature LGBTQ+.â» (Jidanun Lueangpiansamut, âBoysâ Loveâ, *The Passenger: Thailand*)
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## Samedi 16 août
De retour en France pour une semaine. Une belle occasion pour voir la famille et⊠profiter des grosses chaleurs (#blasĂ©).Â
Câest aussi lâopportunitĂ© de mesurer Ă quel point je perds mon français. (*Shock! Horror!* On ne lâavait pas vu venir, celle-lĂ .)
Est-ce que je le perds vraiment, me demanderez-vous mĂ©fiantsâ? Peut-ĂȘtre pas. Mais disons que jâen Ă©gare des pans entiers. Et ce, de plus en plus.
Quatorze ans aprĂšs avoir quittĂ© notre bel Hexagone pour le Brexitland, lâĂ©tat des lieux nâest guĂšre reluisant : les mots viennent spontanĂ©ment en anglais (câest le jeu, ma pauvre Lucette, me direz-vous sans la moindre compassion), jâĂ©maille mon discours dâ«â*actually*â», de «â*and*â», et que sais-je encore, sans parler de la syntaxe de certaines phrases que mon cerveau calque avec joie et gourmandise sur ma langue dâadoption (et comme câest un petit blagueur, je peux presque lâentendre me dire : «âahâ! je sais pas comment terminer cette phrase, dĂ©merde-toi maintenant.â»). Je fais aussi un usage (trop) libĂ©ral des synonymes (lâexemple dâhier : «âmacĂ©rerâ» au lieu de «âmurirâ»â; *figure this one out!*) et des faux-amis. Ne parlons mĂȘme pas du subjonctif prĂ©sent qui a tout bonnement dĂ©cidĂ© de me vexer toutes les deux phrases, en moyenne.
Si jâĂ©tais charitable, je pourrais dire que je fais un usage «âartistiqueâ» de la langue française⊠Mais la charitĂ© et moi, hein. Bref.
Le plus intĂ©ressant, peut-ĂȘtre, câest que si les mots et les expressions ne viennent parfois pas aussi facilement que je le voudrais, ma comprĂ©hension, elle, nâa pas changé⊠Le français est toujours lĂ , profondĂ©ment implantĂ© dans mes circuits neuronaux⊠Quand on me parle, je comprends (encore heureux). Câest juste que les connexions ne se font plus aussi facilement quand il sâagit de *produire* du français (autant Ă lâoral quâĂ lâĂ©crit).Â
LâĂ©crivain *drama queen* que je suis est horrifiĂ©. AprĂšs tout, le français est mon outil de travail. Tout est bon pour me convaincre que mon prochain projet dâĂ©criture sera un Ă©chec (nâessayons donc mĂȘme pas).
«âJe ne sais plus comment raconter des histoires. Je ne sais mĂȘme plus parler françaisâ!â» VoilĂ le type de pensĂ©e qui mâempĂȘche de dormir la nuit (jâexagĂšre un tantinet, ces pensĂ©es nĂ©vrotiques retardent mon sommeil de vingt minutes, mais ces vingt minutes sont *excruciating*).
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## Dimanche 17 août
JâĂ©cris ces lignes en dĂ©gustant un thĂ© blanc du NĂ©pal, un «âgrand cruâ» du Palais des thĂ©s, nommĂ© Pathivara Spring White. Au-dessus de moi vole une mouche agaçante, qui finira collĂ©e Ă un des rubans attrape-mouches que ma mĂšre a accrochĂ©s dans sa cuisine (elle mĂšne une guerre presque aussi efficace que celle de mes chats contre les mouches anglaises).
Je profite du sĂ©jour familial pour dĂ©couvrir la sĂ©lection de thĂ©s maternelle et les marques françaises (Palais des ThĂ©s, Kusmi Tea, etc.) â ma mĂšre aime aussi bien les thĂ©s parfumĂ©s que les thĂ©s naturels, tandis que mon choix se porte le plus souvent sur des thĂ©s naturels (et le Earl Grey â comment rĂ©sister Ă la bergamoteâ?).Â
La description dâun thĂ© (comme celle dâun vin, je suppose) est un art particulierâ; lâart poĂ©tique de lâĂ©vocation : «âun thĂ© blanc printanier dâune grande rondeur dĂ©voilant des notes intenses florales Ă©voluant vers des parfums de vanille et dâamande fraicheâ».Â
Le but est de donner envie, Ă©videmment, pas de dĂ©crire avec exactitude le gout quâaura le thĂ© (oĂč est la vanilleâ? OĂč est lâamande fraicheâ? Je ne dois pas avoir le palais assez dĂ©licatâ!), dâautant plus que la durĂ©e de lâinfusion, la qualitĂ© de lâeau et la quantitĂ© de feuilles utilisĂ©es influencent le rĂ©sultat final. Autre facteur important : le nombre dâinfusions (car le bon thĂ© ne sâinfuse pas une seule fois).
Ce thĂ© du NĂ©pal vient de la rĂ©gion du Panchtar, un des 77 districts du pays, situĂ© Ă lâest, Ă la frontiĂšre avec le Sikkim et le Bengale-Occidental (deux Ătats du nord de lâInde). La dĂ©gustation de thĂ© se double souvent dâune exploration gĂ©ographique. Ainsi, je dĂ©couvre que Pathivara est la plantation la plus haute du pays. Quant au district du Bengale-Occidental qui jouxte le Panchtar, il a un nom familier pour les amateurices de thé : le Darjeeling.
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