# Semaine du 22 septembre 2025
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## Mercredi 24 septembre
Le style d’un récit n’est pas son genre.
La forme n’est pas le contenu.
Cela devrait paraitre Ă©vident, mais les discussions en ligne, ou mĂŞme dans les mĂ©dias traditionnels, confondent souvent les deux…Â
La LittĂ©rature (avec une majuscule siouplait), celle qui se veut bien Ă©crite, artistique ou, tout simplement, supĂ©rieure (ici, on parle de la forme), est associĂ©e le plus souvent au genre rĂ©aliste (le contenu). Tout comme les autres genres (romance, SFFF, polar, historique, etc.), la littĂ©rature rĂ©aliste a ses tropes, c’est-Ă -dire des lieux communs que l’on peut facilement pasticher ou dont on peut se moquer.Â
Si l’on n’y prend garde, on finit par croire que tout rĂ©cit rĂ©aliste appartient Ă la « LittĂ©rature », ce qui doit expliquer pourquoi les auteurs rĂ©alistes peuvent se permettre d'Ă©crire avec leurs pieds, d’avoir un style affreux, de squatter le caniveau, sans pour autant perdre leur aurĂ©ole « littĂ©raire »…Â
Mais attention ! Si l’histoire a un contenu trop marquĂ© (comprendre : elle empeste la romance ou la fantasy), peu importe le soin portĂ© Ă la forme, ces auteurices-lĂ se verront refuser l'entrĂ©e au panthĂ©on de la « LittĂ©rature ».Â
C’est absurde, c’est même idiot, mais c’est ainsi. Certes, les temps changent : le polar a été réhabilité ou co-opté, les littératures de l’imaginaire ne sentent plus autant le souffre depuis que les grandes institutions culturelles ont « découvert » Tolkien ou Lovecraft, mais la romance, avec ses corps moites et ses fluides pégueux, peine à redorer son blason (voire à le dorer tout court).
Le style est un éventail qui va du pauvre au très recherché, du commercial au littéraire, du pseudoneutre au flamboyant. Cet éventail est présent dans tous les genres. En SFFF, un Damasio, un Jaworski ou un Werber n’écrivent pas comme une Dufour, une Faye ou une Dabos (six auteurices aux poétiques très différentes).
Le style « littéraire » s’oppose au style « commercial », point. Le travail sur la forme peut se faire dans n’importe quel genre.
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## Jeudi 25 septembre
Dans un article de _[Fansplaining](https://www.fansplaining.com/articles/fan-pro-spaces-between),_ Tessa Gratton écrit:
> Le fandom est censé transformer le canon/pouvoir en s'y *opposant*, en sortant l'histoire du centre pour la placer dans un espace liminal, queer et sans valeur monétaire, et en existant \[dans les marges]. \(...) Nous voyons les éditeurs traditionnels s'approprier le langage des fandoms pour vendre des histoires originales et promouvoir des livres en fonction de leurs liens directs avec ces groupes de fans. Quand les éditeurs absorbent et co-optent les fandoms, cela nuit à ces derniers. À tout le moins, cela les rapproche du centre, où ce qui compte, c'est l'argent, la blancheur, l'impérialisme, l'hétéronormativité et le maintien du statu quo.
Ainsi, la reconnaissance ou l'acceptation des fandoms et de la fanfiction par le mainstream ne profite qu'au(x) groupe(s) dominant(s). Ce n'est pas une fanfic Draco-Harry qui fait la une des médias anglophones en ce moment, mais bien plusieurs histoires "Dramione" (inspirées par le couple Draco-Hermione). Un peu plus de blancheur et d'hétéronormativité au programme ! Miam !
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## Vendredi 26 septembre
Dans certains milieux littĂ©raires, « style » est devenu un gros mot.Â
En romance ou en SFFF, de nombreuses auteurices se targuent de ne pas en avoir ou de le gommer le plus possible pour ne pas encombrer l’histoire. Je comprends cette position ; je suis moi aussi passé par les bancs de l’école et j’ai dû supporter (peut-être plus que d’autres, puisque j’ai fait des études littéraires) les envolées lyriques d’une prof de français, ou plusieurs, sur Flaubert ou sur Proust.
Dire qu’on Ă©crit sans style, c’est comme affirmer qu’on parle sans accent. Duh, tout le monde a un accent ; il faut ĂŞtre ignare (ou bien bĂŞte) pour affirmer le contraire.Â
Ce que l’on veut dire quand on déclare « parler sans accent », c’est qu’on s'exprime comme la majorité, qu’on est dans la norme et, accessoirement, qu’on se sent supérieur à ceux qui « ont un accent » (une étiquette rarement méliorative que l’on colle aux provinciaux comme aux étrangers).
Même phénomène pour les « styles neutres », voire l’absence de style. La neutralité est une construction esthétique et sociale, qui suit les modes et vieillit assez mal. Il suffit de lire un roman des années 50, ou même 90, pour s’en convaincre.
Tout le monde a un style ; certains sont plus visibles que d’autres, voilà tout.
Le style est le travail que l’on fait sur la forme, du microscopique (la phrase) au macroscopique (le paragraphe, le chapitre, la partie). Le style, c’est aussi le traitement des thèmes et des tropes. Le choix de ce qui est dit et, tout aussi important, de ce qui est tu, de ce qui ne finira pas sur la page. C’est la « patte » des auteurices, ce qui permet de les reconnaitre.
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## Samedi 27 septembre
Les conversations littĂ©raires sur le net ne volent pas haut.Â
Il y a de nombreux articles sur la gestion de l’intrigue (des milliers !), mais assez peu de rĂ©flexions intelligentes sur le style (et quasiment rien sur l’écriture d’une phrase — le microscopique ne semble intĂ©resser que les snobs, les poètes ou les universitaires, c’est bien dommage).Â
Les questions de langue, par exemple, devraient importer tout autant aux écrivains de romance ou de fantasy qu’aux pseudolittéraires représentants du genre réaliste. C’est la base de notre art. Peut-on sérieusement imaginer des peintres refuser de réfléchir aux textures ou aux couleurs ? Bien sûr que non. *Words are my matter*, disait avec justesse Ursula Le Guin. La matière avec laquelle travaillent les écrivains, ce ne sont pas les histoires, ce sont les mots.
Et il y a quelque chose de pourri au royaume littéraire de France, quand les auteurs régurgitent les conseils stylistiques de Stephen King sur les adverbes… Comme si un auteur qui écrit en anglais était le mentor idéal pour qui compose en français ! Par pitié, un peu de bon sens. Et je ne parlerai même pas de celleux qui pontifient sur l’usage quasi sacrosaint du présent et de la première personne. Si c’est là le niveau du débat, peut-être vaut-il mieux parler d’autre chose, en effet.
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## Dimanche 28 septembre
Revisionnage de *Doom at Your Service* (2021), la série romantique sud-coréenne avec Park Bo-young et Seo In-guk.
J’aime ces romances aux enjeux pour ainsi dire cosmiques, avec des entités surnaturelles (goblins, anges, démons, dieux) dans les rôles principaux. Plus tôt dans la semaine, j'ai revu *My Demon*(2023) pour les mêmes raisons.
Ici, on suit le misanthrope Doom (la mort, le destin tragique, la ruine) qui va tomber amoureux d’une humaine qui n’a plus que trois mois Ă vivre et qui, dans un moment de dĂ©sespoir, souhaite la fin du monde.Â
Et puis il y a le créateur de Doom, Dieu, une jeune adolescente hospitalisée, condamnée à mourir dans la fleur de l’âge comme à chacune de ses réincarnations. À la métaphore christique évidente, s’ajoute celle du jardin céleste : Dieu est le jardinier qui fait pousser des fleurs (les humains) et Doom un papillon vagabondant, nécessaire à la bonne santé de cet écosystème. Vie, mort et renaissance dans un cycle sans fin.
Du côté humain, l’histoire évolue dans le milieu de la romance : la protagoniste est éditrice et sa meilleure amie est autrice de *web novels*. Ce qui permet aux scénaristes d’écrire des scènes méta, où les personnages discutent de romance et de storytelling. Ma came.
Le format standard de seize épisodes d’une heure est un peu longuet. C’est le problème avec les séries coréennes. L’intrigue aurait certainement gagnée à être concentrée sur douze épisodes (à la Netflix). J’ai quelques doutes sur le choix de la romance secondaire : elle est intéressante, *don’t get me wrong*, mais elle ne semble pas entretenir de liens thématiques avec l'histoire d'amour principale. C’est dommage.
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