# Semaine du 06 octobre 2025
*Ces entrées appliquent l’orthographe rectifiée. Adieu les petits accents circonflexes ! Pour recevoir gratuitement ma newsletter qui propose une édition mensuelle de ce Journal, c'est par [ici](https://enzodaumier.substack.com).*
## Mercredi 08 octobre
Il y a dix ans, quand j’ai lu *Sapiens* (2014) de Yuval Noah Harari, ça a été une révélation. Aussi bien le contenu que la forme. Voilà un intellectuel qui savait écrire avec précision et clarté. Ses explications, ses exemples mêmes étaient tous limpides. C’est, en partie, grâce à lui que j’ai commencé à considérer la « non-fiction » comme un art à part entière.
*Homo Deus* (2016) Ă©tait dĂ©jĂ plus ardu, mais tout aussi passionnant. Il Ă©tait donc inĂ©vitable que je lise *Nexus* (2024), sa « brève histoire de l’information de l’âge de pierre Ă l’IA ».Â
Craignant un ouvrage assez pessimiste, j’ai attendu qu’il sorte en poche… À se flinguer le moral, autant payer un prix réduit.
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## Jeudi 09 octobre
L’annonce du prix Nobel de LittĂ©rature me laisse froid depuis quelques annĂ©es. Je regarde le nom. La plupart du temps, il ne me dit absolument rien. Et ce qu’on Ă©crit sur l’œuvre du laurĂ©at ou de la laurĂ©ate ne me donne pas envie de les lire.Â
Cette année, c’est László Krasznahorkai, un écrivain hongrois. Félicitations. *Next!*
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## Vendredi 10 octobre
En ce moment, Thierry Crouzet s’interroge sur la [monétisation](https://tcrouzet.substack.com/p/faire-payer-est-ce-la-solution-pour) de ses écrits publiés sur le net. Ses remarques sont intéressantes, mais me mettent mal à l’aise en tant que lecteur. Je le lis avec fidélité depuis de nombreuses années, le cite souvent ici, car ce qu’il dit est intéressant, mais je ne suis pas du genre à aller commenter sous ses publications. Je suis donc un lecteur invisible. Degré zéro de l’engagement.
Je ne suis pas plus un lecteur qui s’abonne et paie pour lire du contenu sur le net. De ce point de vue, je ne suis pas un « bon lecteur » selon la philosophie Substack. Lecteur papillon, j’aime butiner Ă droite, Ă gauche. Un abonnement m’attacherait Ă quelqu’un, Ă un ton et Ă une vision particulière du monde, je me sentirais obligĂ© de lire tout ce que cette personne publie… et le plaisir de lecture disparaitrait aussitĂ´t. Le critique sĂ©vère en moi reprendrait le dessus : mes exigences ne sont pas les mĂŞmes quand je lis un texte gratuit (c.-Ă -d. reçu comme un prĂ©sent) et quand je paie.Â
Je ne suis pas ingrat pour autant et je soutiens à ma manière : j’achète leurs livres, je parle d’eux, je diffuse leurs idées.
L’abonnement, c’est un peu comme s’encarter : j’ai des affinités évidentes avec certains partis politiques et leurs idées, mais pas au point de devenir un de leurs militants. Pareil pour les fandoms. J’aime ce que font certains artistes, mais je suis rarement « un fan de ».
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## Samedi 11 octobre
« Se cacher derrière un paywall reviendrait à revendiquer de ne plus être dans la même cour. Se soustraire à la bataille pour le quantitatif et ne plus œuvrer que pour le qualitatif. Peut-être est-ce élitiste ? Mais quand tout devient si bas de gamme, si banalisé, peut-être qu’un peu d’exigence est nécessaire. J’en arrive à me demander si la gratuité n’est pas le ver qui ronge le web. J’en arrive à ne plus avoir envie d’écrire pour des lecteurs simplement de passage. » (T. Crouzet)
Je comprends cette tentation épicurienne de l’entre-soi (ici, sous sa forme capitaliste). Je la ressens moi aussi quand je passe sur les réseaux sociaux et que je constate la qualité assez médiocre du « contenu ». Les échanges sont vides : peu de générosité d’esprit, peu d’intelligence, au final peu d’humanité. J’en ressors désespéré… et je dois faire un gros effort pour me rappeler que mes contemporains sont des gens bien, qu’il n’y a pas que des cons, et que nous sommes toustes victimes de cette société dysfonctionnelle et anxiogène. C’est-à -dire que je dois m’arrêter un instant pour cultiver la compassion, pendant qu’une voix beugle dans ma tête : « Quelle bande d’enc**, brulez-les tous ! » (si le monde ne te rend pas vulgaire, c’est que tu n’interagis pas suffisamment avec lui).
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## Dimanche 12 octobre
« Je sais que c’est pénible, quand on a eu l’habitude de consommer du contenu gratuitement chez un·e créateur·ice, que la manne se tarisse, mais les créateur·ices sont des humain·es avec des contraintes diverses et le fait qu’iels aiment produire du contenu n’enlève rien au fait que c’est du temps de travail. Or le temps, comme vous le savez, n’est pas extensible. On fait ce qu’on peut avec le temps et l’énergie dont on dispose et aujourd’hui je n’ai plus l’énergie d’écrire une lettre par semaine gratuitement. » (Lucie Choupaut, dans *Artistana(r)t*, newsletter du 12 octobre 2025)
L’arrivée de l’automne semble obliger les artistes à se poser des questions sur ce qu’iels offrent gratuitement et l’impact que cette pratique a sur leur vie, leur art et leur productivité. L’annonce de l’hiver nous invite à nous recentrer sur l’essentiel et à économiser nos forces. Disséminer gratuitement ses textes, c’est faire don de soi à des inconnu(e)s… C’est un acte noble, certes, mais, sans contreparties évidentes, c’est de l’exploitation volontaire.
Quand un service est gratuit, on dit que les utilisateurs sont le produit. Qu’en est-il de ceux et celles qui produisent du « contenu » gratuitement ? À l’ère du capitalisme néolibéral, où la prédation est de rigueur, nous, artistes prodigues, sommes des couillons.
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