# Semaine du 13 octobre 2025 *Ces entrées appliquent l’orthographe rectifiée. Adieu les petits accents circonflexes ! Pour recevoir gratuitement ma newsletter qui propose une édition mensuelle de ce Journal, c'est par [ici](https://enzodaumier.substack.com).* ## Mardi 14 octobre « Vous devriez redouter autant les éloges que les critiques, car les uns comme les autres vous privent de votre liberté. Lorsque vous êtes critiqué, vous craignez de l’être davantage. Quand on vous félicite, vous avez peur de perdre ces éloges. Dans les deux cas, la peur vous prive de votre liberté. (…) En tant qu’écrivain, vous devez maximiser votre liberté. En ce sens, je fais écho à Le Guin, qui a dit que la chose la plus importante pour un écrivain est la liberté. Si vous laissez la peur de perdre les éloges vous contraindre, vous ne vivez plus librement. J’ai toujours essayé de vivre selon ce principe : écrire ce qui compte pour moi, satisfaire mon propre jugement esthétique et laisser le reste au hasard. Vous ne pouvez pas contrôler les ventes ni la façon dont les gens réagiront à votre travail. La seule chose que vous contrôlez, c’est si vous croyez en votre vision et si vous avez suffisamment pratiqué votre art pour la réaliser. J’y croyais quand j’ai commencé à écrire, et j’y crois toujours aujourd’hui. » (Ken Liu, interview dans [Locus Mag](https://locusmag.com/feature/ken-liu-in-touch-with-the-impossible/), octobre 2025) --- ## Mercredi 15 octobre « La science-fiction n'est que le cadre de l'histoire : un monde où la technologie fonctionne à un niveau supérieur à celui que nous connaissons aujourd'hui. Que ce monde serve de toile de fond à une enquête policière (*Blade Runner*), à une histoire d'amour (*Her*) ou à une aventure cosmique (*Star Wars*), les mécanismes du genre proviennent de la structure de l'histoire, et non de ses accessoires. En ce sens, le cyberpunk est un roman d'aventure qui se déroule dans un monde où les données ont plus de valeur que l'or et où le contrôle s'exerce par le biais de réseaux d'information plutôt que d'armées. Le héros est le même type d'homme qui aurait autrefois combattu des pirates plutôt que des gangs de rue, des dragons plutôt que des IA incontrôlables ou des rois corrompus plutôt que des zaibatsu. Il vient simplement d'être plongé dans un labyrinthe bureaucratique plutôt que dans un océan déchaîné ou une forêt maudite. Cette définition explique pourquoi tant de tentatives actuelles de faire revivre le cyberpunk échouent. Elles pensent que l'essentiel réside dans le trench-coat en cuir et le paysage urbain tentaculaire. Mais l'essentiel réside en réalité dans la lutte du héros contre des systèmes déshumanisants. » (Brian Niemeier, [What is Cyberpunk?](https://brianniemeier.substack.com/p/what-is-cyberpunk-hint-not-what-you) ) --- ## Vendredi 17 octobre « Je ne pense pas que les personnes qui ne sont pas homosexuelles ne puissent pas écrire de romances gays. Je dis simplement que les meilleures histoires d’amour sont écrites par des personnes qui ont vécu les évènements qu’elles décrivent. L’émotion est une expérience physique, difficile à reproduire à moins de l’avoir vécue soi-même. » (Un avis de Reddit cité par Dylan Joseph, [on the heterosexualization of gay romance in modern fiction](https://soitgoeslit.substack.com/p/on-the-heterosexualization-of-gay?), juillet 2025) Ce débat ne cessera jamais. Nous l’avions déjà il y a dix ans quand j’ai commencé ma carrière littéraire ; nous l’aurons encore dans vingt ans. Le MM est lu majoritairement par des femmes, et donc, logiquement, ce sont davantage de femmes qui en écrivent. Certains romans sont d’excellente qualité, d’autres moins. Brisons là. Toutefois, ce que dit cette citation m’interpelle. Existe-t-il des émotions gays ? Est-ce que le sentiment amoureux d’un homme qui aime les hommes diffère de celui qui aime les femmes ou de celle qui aime les hommes ou de celle qui aime les femmes ou de celleux qui aiment les deux ? J’aime certainement différemment, en ce que j’ai une vision particulière de l’amour, façonnée par mon éducation, la culture de mon pays, ses tabous, etc., mais l’émotion elle-même, et les réactions physiologiques qu’elle suscite en moi et qui la définissent, sont partagées grosso modo, me semble-t-il, par tous les membres de mon espèce. Je ne crois pas qu’il faille avoir vécu une émotion dans un contexte particulier pour pouvoir la reproduire… mais il est certain qu’il faut connaitre son existence et l’avoir vue en action, dans la vie, sur la page ou à l’écran. Il y a des émotions que je rencontre principalement dans les livres ou dans les films. La rage, par exemple. J’éprouve régulièrement de la colère ou de la frustration, mais ma nature ne me prédispose pas à la rage. Néanmoins, avec un peu d’effort, je serais capable d’écrire un personnage dont le mode d’expression spontané serait la rage. Éprouver une émotion ne veut pas dire qu’on est capable de la décrire avec justesse ou de la mettre en scène intelligemment. Pour cela, il faut savoir observer et extrapoler. Ce n’est pas l’expérience qui compte, c’est l’observation. --- ## Samedi 18 octobre Je relis quelques pages des *Pagodes d’Or* (1909), le récit de la journée que Pierre Loti a passé à Rangoon (Birmanie) en février 1900. Comment ne pas être ébloui par le style de l’auteur ? Ses belles phrases sinueuses, le jeu sur les répétitions, les appositions, les dislocations, les sonorités, le rythme… On pourrait lire ces pages et ne rien remarquer des artifices rhétoriques qu’il emploie, mais il est peu probable qu'on ne ressente rien à la lecture de ces paragraphes munificents. Un exemple : « Avec la foule soyeuse, je suis conduit à cheminer doucement, par cette rue pavée d’antiques dalles blanches, qui tourne à travers la ville en or. Toutes ces pagodes si miroitantes, aux toitures si éperdument pointues, sont ouvertes et laissent paraître leurs dieux. Sous les voûtes, inimaginables de richesse, entre ces colonnes ciselées avec des patiences chinoises, dans ces intérieurs qui ne sont qu’or et pierreries, on les aperçoit, les Bouddhas, de taille surhumaine, assis en cénacle, à l’abri de parasols brodés et rebordés d’or ; devant eux, des urnes d’or pour les encens qui fument, des vases d’or pour les gardénias et les tubéreuses qu’on leur apporte chaque soir, et des candélabres d’or qui, avant le crépuscule, viennent déjà de s’allumer. Ils sont de deux sortes, les Bouddhas de Birmanie ; les uns en or si poli qu’ils reflètent les mille petites flammes des cires ; les autres en albâtre, blêmes comme des cadavres ; mais tous, gardant les yeux baissés dans la même attitude rituelle, ont le même sourire et le même visage de mystère. » --- ## Dimanche 19 octobre Est-ce qu’utiliser l’IA au quotidien nous rend plus bêtes ? Peut-être. Le futur nous le dira.  Mais ce qui est certain, c’est que les gens bêtes utilisent davantage l’IA pour penser. Comment faisaient-ils avant ? Ils ne pensaient pas, ou pensaient mal. Il faudrait être naïf pour croire qu’ils pensaient mieux. Autre certitude : l’IA nous rend paresseux. Une fois que l’on a succombé à son appel, tout devient plus difficile sans elle. --- [[Semaine du 2025-10-06|Semaine précédente]] - [[Semaine du 2025-10-20|Semaine suivante]]