# Semaine du 17 novembre 2025 *Ces entrées appliquent l’orthographe rectifiée. Adieu les petits accents circonflexes ! Pour recevoir gratuitement ma newsletter qui propose une édition mensuelle de ce Journal, c'est par [ici](https://enzodaumier.substack.com).* ## Lundi 17 novembre Voilà le type de discussions littéraires que j’aimerais lire plus souvent.  Sur [Substack](https://donbeck1.substack.com/p/why-tolkien-is-great-and-sanderson), Don Beck explique pourquoi Tolkien est un grand auteur tandis que Sanderson, malgré son succès commercial stratosphérique, ne l’est pas. Je trouve ses arguments convaincants. Et comme je n’ai jamais lu du Sanderson, je n’ai aucun attachement émotionnel, ce qui me permet de lire tout ceci avec calme et d’en apprécier la logique. « Il y a longtemps, j’ai compris que nous, lecteurs et auteurs, devions être capables de parler de la qualité d’un roman sans tomber immédiatement dans les deux pièges du discours littéraire moderne : 1) Tout est subjectif, mec. Tu aimes ce que tu aimes, j’aime ce que j’aime. 2) Mon préféré est le meilleur livre jamais écrit, parce que c’est mon préféré. *Soupir.* » Ces pièges, qu’ils qualifient de « parangons d’anti-intellectualisme », sont aussi présents dans le milieu de la romance, la littérature des sentiments par excellence, où seule l’émotion éprouvée durant la lecture semble compter.  Ce qui détermine la qualité d’un roman, ce n’est pas la vitesse à laquelle le petit cœur des lecteurices bat. Comme n’importe quel genre, la romance produit des romans d’excellente qualité. Nous y trouvons de grandes auteurices… mais l’approche compulsive de la plupart des lecteurices ne permet pas des discussions sur la qualité littéraire des œuvres. Le discours « critique » se limite à une série de *likes* et *dislikes*, de tropes ou de situations préférés, et se soumet servilement à la mode marketing du moment (BDSM, romantasy, smut, etc.). Il est presque impossible de connaitre les « classiques » (ou futurs classiques) du genre. En dehors de Jane Austen, sait-on qui sont les grands noms de la romance ? Et par grands noms, il est évident que je ne parle pas de ceux et celles qui vendent le plus. --- ## Jeudi 20 novembre « L’anxiété sociale comparative n’a donc pas attendu Instagram pour exister. Mais il faut reconnaître une différence d’échelle : nos cerveaux, façonnés pour des groupes de quelques dizaines d’individus, ne sont pas équipés pour traiter le flux incessant de vies alternatives qui défile sur nos écrans. Face à cette saturation, la déconnexion n’est pas une fuite mais une reconquête. Choisir de ne pas regarder, de ne pas savoir, de ne pas être connecté en permanence, ce n’est pas rater quelque chose — c’est gagner la capacité d’être pleinement présent à sa propre vie. » (Emmanuel Carré, [The Conversation FR](https://theconversation.com/le-fomo-ou-peur-de-rater-quelque-chose-entre-cerveau-social-et-anxiete-collective-267362)) --- ## Vendredi 21 novembre « Le mouvement “spirituel mais pas religieux” promet une libération des structures religieuses oppressives. Mais ce qu’il offre souvent, c’est une consommation spirituelle individualisée avec encore moins de responsabilités que ce qu’offrait la religion institutionnelle. On retrouve toute la dynamique de pouvoir asymétrique de la relation gourou-disciple, sans aucune des structures institutionnelles qui pourraient limiter les abus. Cela ne signifie pas que la religion institutionnelle est bonne pour autant. Les institutions religieuses ont permis des abus horribles, et leurs structures de responsabilité échouent souvent de manière catastrophique. Mais cela ne signifie pas que la solution aux mauvaises institutions est nécessairement l'absence d’institutions. Nous avons besoin de meilleures institutions. Ou, au minimum, d’une certaine forme de responsabilité collective allant au-delà du choix individuel des consommateurs. » Liz Bucar, « *[We Made Deepak Chopra Rich. Then He Befriended a Predator.](https://lizbucar.substack.com/p/we-made-deepak-chopra-rich-then-he)*», Novembre 2025. --- ## Samedi 22 novembre Il y a des expressions qui passent mieux en anglais, en partie parce que je les ai découvertes dans cette langue, c’est vrai, mais aussi parce que l’anglais est plus économique que le français. Par exemple, *sunk cost fallacy* que Wikipedia traduit par « biais cognitif des couts irrécupérables » (*that’s a mouthful*) — c’est à dire une erreur de jugement causée par notre aversion pour la perte. Tout le monde en a déjà fait l’expérience : c’est vouloir continuer quelque chose parce que l’on a déjà dépensé beaucoup de ressources (temps ou argent) sur cette activité.  C’est ce qui arrive à l’étudiant qui, après un semestre à la fac, comprend qu’il est dans la mauvaise filière, mais décide de terminer sa licence (c.-à-d. cinq semestres de plus) parce qu’il a déjà passé les partiels du premier semestre… Il préfère donc perdre trois années de sa vie (six semestres) plutôt que d’avoir étudié quelques mois pour rien. Présenté ainsi, c’est absurde, mais nos raisonnements le sont plus souvent que nous n'aimons l'admettre. À cause de cette *sunk cost fallacy,* nous restons dans un boulot qui nous asphyxie l’âme ou un mariage qui nous détruit le cœur. La peur de perdre ce que nous avons durement acquis et de devoir tout recommencer à zéro nous fait gâcher cette ressource même que nous voulions préserver. --- ## Dimanche 23 novembre En novembre, ma boite découverte de Curious Tea m’amène au Japon.  Je crois que c’est la première fois qu’ils ont tous la même origine : la ville de Gokase dans la préfecture de Miyazaki. Située au centre de l’ile de Kyushu à mille mètres d’altitude, la ville jouit d’un climat subtropical humide. Ce coffret est composé de trois variétés de thé, que l’on appelle des cultivars : le cultivar Benihikari (utilisé pour un thé noir du même nom : Gokase Benihikari Wakocha), le cultivar Kōshun (dont ils ont tiré un oolong aux notes douces et florales) et le cultivar Takachiho, utilisé ici pour un Wakocha (thé noir) et un Kamairicha (thé vert cuit à la poêle). La richesse du *camellia sinensis*, le nom scientifique du thé, ne cesse de m’émerveiller. Tant de découvertes ! L’abondance est partout quand on sait observer avec attention, quand on se donne la peine de creuser un sujet (quel qu’il soit). J’éprouve beaucoup de joie à parcourir le monde grâce au thé. Moi qui ne bois ni vin ni café, je commence à comprendre les ravissements de l’œnologie ou de la caféologie. L’exploration est tout autant intellectuelle que gustative.  Il est difficile d’expliquer le bonheur que l’on peut ressentir lors d’une telle exploration. Notre société, avec ses réseaux sociaux, nous oblige à interagir avec notre environnement de manière superficielle ; notre attention est tiraillée constamment. Mais quand nous donnons à cette dernière un objet précis, même le temps de quelques minutes, cette focalisation suscite de la joie et de l’émerveillement. --- [[Semaine du 2025-11-10|Semaine précédente]] - [[Semaine du 2025-11-24|Semaine suivante]]