# Semaine du 01 décembre 2025
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## Mardi 02 décembre
Depuis juillet dernier, Ruthanna Emrys, écrivaine de SFFF américaine, propose une série d’articles passionnants sur *Reactor* intitulée [*Seeds of Story*](https://reactormag.com/tag/seeds-of-story/). Le concept est simple : deux fois par mois, elle présente des idées trouvées dans un essai (scientifique ou historique) à même d’enrichir la création d’un monde secondaire.
Dans l’[article](https://reactormag.com/infernal-gravity-and-the-logic-of-death-scenes-ada-palmers-inventing-the-renaissance/) publié aujourd’hui, elle passe en revue l’essai d’Ada Palmer, *Inventing the Renaissance: The Myth of a Golden Age* (mars 2025).
Personne ne sera surpris si j’avoue être fan de ce concept. J’ai passé une grande partie de ma jeunesse à créer un monde secondaire. Ma passion pour l’Histoire était, avant tout, utilitaire : j’étais une pie voleuse, se servant sans honte dans la matière du passé pour construire un monde différent du nôtre.
La différence, c’est ce qui m’a toujours intéressé : encore aujourd’hui, je ne me tourne pas vers le passé pour être réconforté (« ah ! ils étaient comme nous »). Non. J’explore ces contrées lointaines pour découvrir ce qui différencie ces gens de mes contemporain·es, pour remettre en cause nos évidences et me rappeler que notre « universalisme » (démocratie, justice, etc.) n’est en rien universel. Il est le produit du *hic et nunc*, du *here and now*, de l’*ici et maintenant*. Il n’est pas figé non plus ; il évolue constamment (notre angoisse actuelle s’explique par cette évolution constante ; depuis quelques années, le changement est si rapide qu’il est devenu difficile à ignorer ; on voit des gens se réfugier dans un passé qui n’a jamais existé, forme ultime du déni, mais il est clair que nous sentons toustes, au moins confusément, que nos « vérités » ne sont pas aussi solides que nous le croyions — devant nos yeux éberlués, le monde est en train de remettre l’Occident et ses idées à sa place).
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## Jeudi 04 décembre
Dans [*The Conversation (France)*](https://theconversation.com/new-romance-un-genre-qui-transforme-ledition-francaise-mais-qui-reste-illegitime-267170 ), Adeline Florimond-Clerc et Louis Gabrysiak écrivent :
« La new romance montre ainsi que les hiérarchies culturelles ne disparaissent pas : elles se recomposent, se déplacent, se moralisent. Genre illégitime mais structurellement central, elle révèle les impensés d’une institution littéraire qui continue de résister au populaire, au féminin et à l’émotionnel. L’économie du livre dépend désormais largement de publics longtemps invisibilisés. Reste une question ouverte : quand un genre fait vivre tout un secteur, combien de temps peut-on faire semblant de ne pas le voir ? »
Il y a aussi cette petite citation rigolote : « La romantasy est un exemple intéressant en ce sens. Elle est présentée moins comme une branche de la romance que comme une extension de la fantasy. Elle bénéficie donc du prestige associé à ce genre et donne lieu à des tentatives de repositionnement éditorial. »
Elle bénéficie du prestige de la fantasy ! Mais bien sûr… Ne confondons pas l’arbre avec la forêt : le prestige de Lovecraft ou de Tolkien, entrés (ou sur le point d’entrer) en Pléiade, n’est pas pour autant accordé à la production contemporaine. Mais il est vrai que la romance est le plus méprisé des « mauvais genres »… Sur l’échelle du « sérieux » (les guillemets font ici tout le boulot), nous trouvons le fantastique, la science-fiction, la fantasy… et la romantasy.
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## Vendredi 05 décembre
Je ne sais pas. C’est peut-être la nature humaine. Ou l’effet prolongé des techniques marketing sur notre psyché. Ou l’état du monde, tout simplement.
MĂŞme sur Substack, il est devenu difficile d’éviter les articles (ou les notes) pessimistes. Intelligence artificielle, revenus des artistes, crise climatique. Tout va mal. Partout, les gens adoptent cette tonalitĂ© sombre. Tout cela donne l’impression d’une civilisation Ă bout de souffle, sur le dĂ©clin, emmerdifiĂ©e. L’espoir s’est fait la malle.Â
Est-ce la vérité ou une fausse impression ? Je ne sais pas.
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## Samedi 06 décembre
Je viens de regarder les trois Ă©pisodes disponibles de *Heated Rivalry*, l’adaptation canadienne du roman Ă©ponyme de Rachel Reid.Â
L’histoire est plaisante, les acteurs sont bons, mais ce qui m’a marqué, car je n’en ai plus l’habitude, ce sont ces corps bodybuildés — un physique tellement éloigné de ce que nous pouvons voir dans les séries asiatiques. (Évidemment, les acteurs thaïlandais passent leur temps libre à la gym, à soulever de la fonte, mais le résultat fait moins « montagne de muscles » que ce que l’on peut trouver dans *HR*.)
Quand je vois ces corps sculptĂ©s, sans la moindre trace de graisse, je suis admiratif, car je sais les sacrifices dĂ©ments que ça exige, mais j’éprouve un certain malaise et du dĂ©gout envers cette sociĂ©tĂ© du spectacle instagrammĂ©e qui ne connait aucune limite dans son extravagance.Â
Que Shane Hollander (Hudson Williams), Connor Storrie (Ilya Rozanov) ou encore François Arnaud (Scott Hunter) soient bâtis comme des dieux grecs sous testostĂ©rone, passe encore : ils incarnent des joueurs de hockey. On ne s’attend pas Ă ce qu’ils aient des physiques de gringalets. Mais que le personnage de Kip (jouĂ© par Robbie G.K.), le barista du magasin de smoothies, le reprĂ©sentant des *normies* en somme, ait un corps aussi dĂ©ment que celui des autres, c’est dommage, et un peu frustrant. Est-ce seulement rĂ©aliste ? Difficile Ă dire, car on trouve bien de nombreux *gym bunnies* dans le milieu gay (ne sous-estimons pas le besoin viscĂ©ral, et quelque peu pathologique, qu’a notre communautĂ© de sĂ©duire Ă tout prix).Â
Et c’est sur ce point que le *gay gaze* et le *female gaze* de la romance MM s’accordent parfaitement : *Heated Rivalry* donne à voir des corps extraordinaires, hors normes, presque déconnectés de la réalité — un univers à part où tout le monde est beau et super bien foutu, où la substance d’un personnage se mesure à la densité de ses muscles (et à la longueur de son membre) plutôt qu’à la profondeur de son humanité. Tout y est exagéré. Superficiel. Même le *boy next door* a un corps sculpté par Michel-Ange.
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## Dimanche 07 décembre
Le monde occidental s’est construit une réputation mythique, celle d’être le « *free world* ». Nos pays sont les parangons de la liberté absolue, par opposition à ces systèmes louches, quelque peu dictatoriaux, que l’on trouve en Chine, en Inde ou ailleurs (a.k.a. les « autres », les « anti-nous », les ennemis potentiels ou réels du mode de vie à l’occidentale).
Il suffit de lire un article sur la Chine, quel qu’il soit, pour trouver le même angle d’attaque, les mêmes rappels : une dictature communiste où personne n’est libre de rien. J’exagère à peine.
Entendre toujours le même son de cloche, dans tous les médias occidentaux, de gauche comme de droite, a tendance à m’agacer et à me rendre suspicieux. Pourquoi nous répéter la même chose encore et encore ? Est-ce par paresse et incompétence ? Ou avons-nous affaire à une forme de propagande *à l’occidentale* ?
Ces dernières années, en prêtant attention à ce qui se passe en Chine, j’ai remarqué qu’il y avait un gouffre entre ce que les journalistes occidentaux nous disaient de cet immense pays d’un côté et les témoignages de celleux qui y vivaient de l’autre. (Il n'est pas impossible que les deux partis aient raison, car la réalité est souvent plus complexe qu’on ne veut l’admettre.)
Notre opinion est à ce point biaisée que nous sommes devenus incapables de comprendre ce qui se passe actuellement dans le monde. Nous voyons la paille dans l’œil du Chinois, mais pas la poutre dans notre œil d’Occidental.
Il serait peut-être temps que nous étudions, de manière dépassionnée, l’état de nos libertés. Pas seulement nos libertés sur le plan théorique, ou celles qui existaient dans le passé, mais nos libertés telles que nous pouvons les vivre et en faire l’expérience au quotidien, aujourd’hui même.
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