# Semaine du 15 avril 2024
## Lundi 15 avril
Vu que je vis en Angleterre, câest une expĂ©rience qui mâest de moins en moins familiĂšre. Mais ça doit ĂȘtre agaçant, quand on est un·e auteurice francophone, de se promener dans une librairie et de constater que la plupart des livres qui se vendent sont des traductions, surtout dans les genres que lâon Ă©crit soi-mĂȘme. Comment ne pas dĂ©primer quand son lectorat potentiel prĂ©fĂšre lire des histoires importĂ©es plutĂŽt que celles imaginĂ©es sur le territoire nationalâ?
Dans mon pays dâadoption, il y a peu de traductions : elles sont souvent rassemblĂ©es sur une seule table⊠Je lis quâelles reprĂ©sentent 3,3 % des ventes de fiction (ce sont les mangas et la littĂ©rature japonaise qui arrivent en tĂȘte).
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## Mardi 16 avril
« Manifestement, \[les best-sellers français] semblent affectĂ©s par un Ă©puisement gĂ©nĂ©rique. Il nây a pas de âroman policierâ, de âroman historiqueâ, de âroman sentimentalâ mais des hybrides ou des dĂ©rivations plus ou moins bien dĂ©finis : des romans dâidĂ©es historiques, des thrillers Ă©motionnels, du fantastique ancrĂ© dans la banalitĂ© ordinaire. Et, hybride des hybrides, il existerait mĂȘme un âbest-seller totalâ qui (âŠ) sâinscrirait Ă Ă©quidistance des autres ensembles. »
(Pierre-Carl Langlais, "[Les algorithmes rĂȘvent-ils de best-sellers ?](https://journals.openedition.org/fixxion/12422)")
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## Mercredi 17 avril
Pour Ă©viter les Ă©cueils du perfectionnisme, et les souffrances qui en dĂ©coulent, beaucoup dâauteurices conseillent dâavoir des sessions de crĂ©ation pure, sans jugement aucun, suivies par des moments de relecture et de rĂ©visions critiques.
Les anglophones appellent les premiĂšres *freewriting*, souvent utilisĂ©es lors des sĂ©ances de brainstorming. Elles permettent dâavoir un rapport plus sain avec lâacte dâĂ©crire en le dĂ©dramatisant. Câest aussi le rĂŽle des *morning pages* de Julia Cameron : dĂ©bloquer le flot de la crĂ©ativitĂ© en demandant au critique intĂ©rieur de se la fermer (pendant un temps dĂ©fini).
Dans *Deep Freewriting*, Stephen Lloyd Webber pousse le concept plus loin encore. Il lâapplique aux autres Ă©tapes de lâĂ©criture : pour savoir comment on Ă©crit une scĂšne, il conseille de rĂ©flĂ©chir sur la page mĂȘme plutĂŽt que dans notre cerveauâ; en somme, de commencer Ă Ă©crire avant dâĂȘtre prĂȘt et de ne pas sâarrĂȘter Ă la moindre hĂ©sitation. Pas le bon mot ? Tant pis, continue. Cette phrase ne veut rien dire ? Tant pis, continue.
Une telle technique implique beaucoup de dĂ©chets : elle est Ă lâopposĂ© de ce que je fais habituellement. Mais si elle mâintrigue, câest parce quâelle promet un rapport plus joyeux Ă lâĂ©criture : si ce que jâĂ©cris nâa pas besoin dâĂȘtre parfait, je peux me mettre devant lâordinateur sans crainte⊠et ne pas procrastiner pendant des mois «âparce que je ne suis pas prĂȘtâ» (spoiler alert: je ne le suis jamais).
Je pars du principe quâen tant que crĂ©atifs, nous ne devrions pas nourrir nos dĂ©mons, ces tendances dĂ©lĂ©tĂšres et autoflagellatrices : les mĂ©thodes qui marchent *pour nous* ne sont pas nĂ©cessairement saines sur le long terme. Certaines conduisent droit au burnout ou Ă l'angoisse de la page blanche. Parfois, il faut avoir lâhonnĂȘtetĂ© de reconnaitre que si ça nous rend malheureux, câest peut-ĂȘtre parce que notre mĂ©thode, qui rĂ©pond certes Ă nos envies, nâest pas la plus adaptĂ©e Ă nos besoins.
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## Jeudi 18 avril
Dans cet article du magazine de SFFF [Reactor](https://reactormag.com/bad-books-and-the-readers-that-love-them/) (anciennement Tor.com), James Davis Nicoll rappelle que les «âmauvaisâ» livres, ceux Ă la qualitĂ© discutable (du moins, selon les critĂšres du «âbon goutâ» littĂ©raire), nâen sont pas moins nĂ©cessaires Ă notre bienĂȘtre. Ils rĂ©pondent Ă un besoin que nous ne savions pas avoir.
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## Vendredi 19 avril
Pour Ă©crire un roman, ce nâest pas du temps quâil faut (disons : on peut toujours en trouver), mais de lâespace mental. Câest ce que les anglophones nomment «â*bandwith*â» (bande passante ou dĂ©bit) : quand on a trop de choses Ă gĂ©rer dans sa vie, lâesprit nâa plus lâĂ©nergie nĂ©cessaire pour rĂ©flĂ©chir Ă lâhistoire que lâon veut crĂ©er.Â
Ătrangement, un roman sâĂ©crit aussi quand on est sous la douche ou quand on fait la vaisselle. On nâa pas besoin dâĂȘtre devant son clavier ou sa feuille de papier pour lâavancer. Il faut juste que lâesprit soit libre dâassocier des idĂ©es entre elles pendant que le corps, en pilote automatique, accomplit les tĂąches du quotidien.
Si le cerveau est obsĂ©dĂ© par le dernier drame familial ou stressĂ© par le boulot, il ne peut pas gĂ©rer la complexitĂ© dâun roman. Ses prioritĂ©s sont ailleurs.
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## Samedi 20 avril
Je suis un jongleur. Passent entre mes mains de nombreuses balles⊠et plus les semaines passent, plus la vie mâen lance de nouvelles, que jâattrape au vol avec grĂące et efficacitĂ©. TrĂšs vite, je remarque que jâai beaucoup trop de balles en lâair. Il me faudrait une troisiĂšme, voire une quatriĂšme, main pour les relancer toutes. Je vais devoir faire un choixâ; certaines sont condamnĂ©es Ă sâĂ©craser au sol. Que faireâ?
Dans la vie, les balles sont de deux types : en plastique ou en verre. Dans le premier cas, si elles tombent, elles rebondissentâ; dans le second, elles se fracassent. Si la balle est intacte, je peux espĂ©rer continuer de jongler avec elle dĂšs que mes mains seront moins occupĂ©es. Dans le cas contraire, elle va direct Ă la poubelle : lâoccasion de jongler avec elle est passĂ©e pour de bon et ne se reprĂ©sentera plus.
LâĂȘtre humain croit souvent quâune balle est en verre, alors quâelle nâest quâen plastique⊠et inversement. Ce comportement absurde peut ĂȘtre comique Ă lâoccasion (je pense, en particulier, Ă la scĂšne de la [cuisine](https://youtu.be/LE9t98Gox60) dans *Mon oncle* de Jacques Tati), mais les consĂ©quences sont plus graves quand elles affectent les gens que lâon aime et qui comptent sur nous.
La finale de la compétition de foot de Justine ou le premier ballet du petit Paul, eux, ne se représenteront plus.
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## Dimanche 21 avril
Les taoïstes recommandent de mettre l'esprit au régime afin d'atteindre l'acuité nécessaire pour vivre bien.
âThis Daoist art of perspective-takingââârecognizing the existence of various perspectivesâââis called the âIllumination of the Obviousâ or the attainment of ming æ (acuity, discernment). (âŠ) **The way we reach ming is by emptying our minds and letting things go**. It is by clearing the âtangled weedsâ that Zhuangzi says clog the mind. Zhuangzi calls it xinzhai ćżéœ (fasting of heart/mind), simply saying this: put your mind on a diet!â
(Robin R. Wang, in [How to Live a Good Life: A Guide to Choosing Your Personal Philosophy](https://www.goodreads.com/book/show/49020941-how-to-live-a-good-life))
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