# Semaine du 27 mai 2024 ## Lundi 27 mai *Marriage Impossible* est une sĂ©rie corĂ©enne mainstream (comprendre : hĂ©tĂ©ro), avec un personnage gay (jouĂ© par Kim Do Wan) parmi les personnages principaux.  AprĂšs avoir vu *Queen of Tears*, qui avait placĂ© la barre haut, je l’ai trouvĂ©e de qualitĂ© infĂ©rieure, mĂȘme si elle n’est pas dĂ©sagrĂ©able Ă  regarder.  La fin, surtout, m’a agacé : de tous les personnages principaux, le gay Lee Do Han est le seul qui ne finit pas en couple. Sa fin heureuse, c’est de finir seul, libre de pratiquer son art et de vivre comme il l’entend. (Il y a pire comme fin, bien Ă©videmment, mais l’effort dĂ©ployĂ© pour caser la seconde protagoniste, Chae Won, dans les derniĂšres minutes de la sĂ©rie, montre que tous les personnages ne sont pas Ă©gaux devant l’Amour.)  C’est comme si, en dehors du BL, la CorĂ©e du Sud ne savait pas traiter les gays comme des gens normaux. Quand on est dans une romance, le comingout d’un des protagonistes ne saurait suffire : si tout le monde finit en couple, pourquoi le gay devrait-il faire exception ? Pourquoi le condamne-t-on Ă  la solitude ? L’hĂ©tĂ©ronorme est-elle Ă  ce point rigide dans le monde de la romance corĂ©enne que si le mariage n’est pas possible, il ne peut y avoir d’aspiration Ă  l’amour ? --- ## Mardi 28 mai Et c’est en observant la romance hĂ©tĂ©ro/mainstream d’un pays que l’on comprend la place du BL en son sein et sa signification.  Pour la CorĂ©e du Sud et le Japon, le BL est un fantasme, sans prĂ©tention rĂ©aliste
 De la fantasy, en somme, qui ne peut exister que sĂ©parĂ©e du reste de la sociĂ©tĂ©. Dans sa petite bulle (lucrative). Mais quand le mariage gay est reconnu, comme Ă  TaĂŻwan, on voit apparaitre (au dĂ©but, timidement, certes) des camĂ©os d’homoromance dans les romances hĂ©tĂ©ros : la victoire lĂ©gale s’accompagne d’une victoire symbolique. La fiction reconnait alors cette rĂ©alitĂ©, difficilement acceptable dans certains milieux : en matiĂšre de sentiments, les homos ne diffĂšrent en rien des hĂ©tĂ©ros. --- ## Mercredi 29 mai Jeanne, « la fĂ©e Ă©ditoriale », fait Ă©cho, dans sa newsletter du jour, Ă  quelques lectures que j’ai faites rĂ©cemment sur la rĂ©alitĂ© du marchĂ© de l’édition, et plus largement de la diffusion des connaissances (la « crĂ©ation de contenus »), qui a connu un changement de paradigme ces derniĂšres annĂ©es : le *gatekeeping* (c.-Ă -d. le processus de sĂ©lection) est passĂ© des Ă©diteurs aux lecteurs-consommateurs. « Une partie du choix, du “tri” s’est dĂ©placĂ© des ME (et de la psychĂ© des aspirants auteurs) vers le lectorat lui-mĂȘme. Mais ça ne signifie pas que le tri lui-mĂȘme ait disparu, ou qu’il y ait plus d’élus parmi tous les appelĂ©s. La sĂ©lection a simplement Ă©tĂ© mise entre d’autres mains. » En tant qu’auteur hybride, je me rĂ©jouis de l’existence de l’autoĂ©dition : elle a permis Ă  certains genres (dont la romance gay) de fleurir, et a prouvĂ© Ă  l’édition traditionnelle qu’un marchĂ© pour ces livres-lĂ  existait bien (voilĂ  certainement la raison pour laquelle mon premier roman s’est retrouvĂ© publiĂ© chez Harlequin/HQN France en 2016).  Mais le lecteur que je suis se dĂ©sespĂšre souvent de l’énergie et du temps qu’il faut dĂ©penser afin de sĂ©parer le bon grain de l’ivraie. --- ## Jeudi 30 mai En complĂ©ment de mon entrĂ©e d’hier. Une nouvelle citation. Mardi, Mike Grindle affirmait dans sa [newsletter ‘*In The Margins*’](https://mikegrindle.com/posts/surf) (# 29) Ă  propos des sites internets :  « L’acte de curation est incroyablement sous-estimĂ©. On peut mĂȘme dire que face Ă  un contenu infini, un bon “curator” vaut mille crĂ©ateurs. (
) Sans curators, nous n’aboutissons qu’à des impasses et n’avons droit qu’au dĂ©filement abrutissant d’un “contenu” tout aussi abrutissant. » Ne serait-il pas merveilleux de devenir un de ces « curators » ? VoilĂ  une activitĂ© d’utilitĂ© publique ! (Pour ĂȘtre honnĂȘte, de 2011 Ă  2013, en compagnie de \@SeriesEater, je me voyais dĂ©jĂ  en « passeur de culture », mais je n’aurais pu imaginer que l’abondance de la production culturelle, qui Ă©tait vertigineuse Ă  l’époque, ne ferait qu’empirer.) --- ## Vendredi 31 mai Dans cet article passionnant (bien qu’un peu longuet) de ćąšćźąhunxi publiĂ© dans le [Reactor Mag](https://reactormag.com/unlimited-flow-beyond-the-horizons-of-genre/), je dĂ©couvre un sous-genre populaire de la SFFF horrifique asiatique : l’*unlimited flow*, dont les reprĂ©sentants les plus connus sont, sans aucun doute, *Battle Royale*, *Alice in Borderland* et *Squid Game*. Durant son exposĂ©, l’auteurice en profite pour dĂ©finir un autre genre : l’isekai. « L'*unlimited flow* ressemble fortement Ă  un autre genre de webnovel populaire en Asie de l’Est, l’isekai. Souvent considĂ©rĂ© comme un sous-genre de la *portal fantasy*, l’isekai met en scĂšne des protagonistes qui sont transportĂ©s dans un autre monde ou une autre pĂ©riode. Ils doivent rĂ©ussir Ă  se frayer un chemin dans ce nouvel environnement, gĂ©nĂ©ralement aidĂ©s par leur connaissance du livre, de l’intrigue, du jeu ou de l’époque qui l’ont inspirĂ©, afin de connaitre le bonheur et/ou de retourner dans leur monde d’origine.  (...) L’isekai transporte souvent son hĂ©ros dans le corps d’un personnage existant, alors que les protagonistes de l’*unlimited flow* restent dans le leur. Une grande partie de l’isekai se concentre sur les difficultĂ©s Ă  incarner un nouveau corps. En tant que genre, il aborde frĂ©quemment les thĂšmes du destin, de l’identitĂ©, du rĂŽle Ă  jouer et du sens de l’existence. Les systĂšmes prĂ©sents dans l’isekai ont souvent pour but de renforcer l’aspect comique de l’intrigue, mais ils restent en retrait par rapport au *worldbuiding* du texte. Alors que les histoires d'isekai se prĂ©occupent gĂ©nĂ©ralement des voyages que les personnages entreprennent pour explorer et s’intĂ©grer Ă  ce nouveau monde, l’*unlimited flux* se soucie davantage de leur survie. » (Trad. DeepL & E.D.) Pour les amateurices de *danmei* (nom donnĂ© au BL chinois), je pense que *The Scum Villain’s Self-Saving System* de Mo Xiang Tong Xiu illustre assez bien le genre de l’isekai. --- ## Samedi 01 juin Visite Ă  la librairie d’occasion de Kelham Island, oĂč le petit rayon de littĂ©rature en langue française avait de nouveaux bouquins.  J’ai achetĂ© *Mythologies* de Barthes, les *Nouvelles romaines/Racconti romani* de Pier Paolo Pasolini en Ă©dition bilingue et les *Nouvelles complĂštes* de Marcel AymĂ© publiĂ©es chez Quarto Gallimard. Des achats dĂ©couverte, en somme, car le seul que j’ai jamais lu, c’est Barthes (durant mes Ă©tudes littĂ©raires, il y a une Ă©ternitĂ©). Pasolini et AymĂ©, je ne les connaissais que de nom. (Et encore
 AymĂ© m’est pour ainsi dire inconnu.) Sur trois auteurs, deux sont homosexuels : c’est pas mal pour un premier jour du *Pride Month*. --- ## Dimanche 02 juin AprĂšs avoir vu *Lovely Runner* (qui n’a aucun rapport avec la course, qu’on se le dise), je suis revenu Ă  *Doctor Slump*, dont j’avais vu le premier Ă©pisode plus tĂŽt dans la semaine, sans ĂȘtre convaincu.  Les sĂ©ries corĂ©ennes, avec leurs seize Ă©pisodes de plus d’une heure, se vivent comme des marathons
 et comme je suis impatient, je les regarde d’affilĂ©e, Ă  toute vitesse. Ce qui m’intĂ©resse, c’est de voir comment l’arc narratif se dĂ©veloppe. Un visionnage fragmentĂ© (en regardant un Ă©pisode par jour, par exemple) ne me permettrait pas d’avoir cette vision d’ensemble. TrĂšs souvent, la fin des romances corĂ©ennes me frustre, car elles succombent Ă  la malĂ©diction de la sĂ©paration des amants, un trope-clichĂ© devenu malheureusement incontournable.  Et c’est sur ce point que *Lovely Runner* m’a surpris : le dernier Ă©pisode est entiĂšrement dĂ©diĂ© Ă  la romance des protagonistes. Un Ă©pisode entier ! De l’inĂ©dit ! Jusqu’à la fin, j’ai cru que le mĂ©chant allait revenir
 ce qui ne m’a pas permis de me dĂ©tendre et de profiter, comme il fallait, de ces scĂšnes charmantes. --- Navigation : [[20_PublicDiary]] [[Semaine du 2024-05-20|Semaine prĂ©cĂ©dente]] - [[Semaine du 2024-06-03|Semaine suivante]]