# Semaine du 12 août 2024
## Lundi 12 août
« Pour moi, la forme est un moyen, tandis que l’histoire, le fond, est un but. Pour dire autrement : pour moi, la forme n’est pas un but. Ce qui ne veut pas dire que je ne la prends pas en compte, mais disons que je ne veux pas faire une poésie qui va bien sonner, je veux faire une poésie qui va bien *te* sonner. » (Cécile Coulon)
Je partage la vision poĂ©tique de C. Coulon. Ă€ mes yeux, la forme ne peut ĂŞtre que secondaire. Prime l’histoire, le message, le fond (peu importe comment on souhaite l’appeler). C’est Ă dire prime l’émotion que l’on suscite chez les lecteurices.Â
L’émotion ne nait pas de la forme mais de ce que dit (ou tente de dire) le poème. Évidemment, la forme participe de l’effet.Â
Un poème obscur est, selon moi, un Ă©chec. Si on ne comprend rien Ă la première lecture, si on ne ressent rien, je ne vois pas l’intĂ©rĂŞt du poème.Â
En affirmant cela, je sais que je vais à l’encontre de tout un mouvement poétique qui présente son hermétisme comme le summum de l’Art, une preuve irréfutable du génie de l’artiste.
Mais écrire un texte imbitable, c’est très facile. Le premier imbécile venu peut le faire. Le génie (s’il existe) consiste à ajouter de la profondeur à la simplicité, sans pour autant en complexifier la lecture.
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## Mardi 13 août
Dans notre sociĂ©tĂ© de l’abondance, nous ne nous soucions guère de la valeur de ce que l’on produit. C’est Ă©vident quand on regarde ce qu’essaye de nous vendre la *fast fashion* ; mais ça l’est tout autant quand on observe le contenu (Ă©phĂ©mère) de ce que l’on poste sur les rĂ©seaux sociaux.Â
S’arrĂŞte-t-on quelques secondes pour se demander si ce que l’on est sur le point de publier apporte de la valeur ? Non, bien sĂ»r que non.Â
Nous partageons ce qui nous traverse l’esprit. Ă€ chaud. Sans considĂ©ration pour l’impact sociĂ©tal ou environnemental. Nous oublions (ou souhaitons oublier) que le cloud n’est pas un espace dĂ©matĂ©rialisĂ©Â : c’est un rĂ©seau Ă©nergivore de serveurs que l’on peut placer sur une carte.Â
À quoi ressembleraient nos vies si toutes nos actions avaient pour objectif premier d’enrichir le monde ?
(Évidemment, je ne limite pas ici le mot valeur à son sens économique. À mes yeux, un compliment sincère a plus de valeur que le cours de la bourse.)
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## Mercredi 14 août
À mes yeux, la littérature n’est pas prescriptive, et donc, à ce titre, n’a pas besoin d’être morale. Écrire sur la tromperie amoureuse, le viol, l’inceste, la violence, ou les tabous qui hantent notre société contemporaine, ne veut pas dire qu’on les glorifie pour autant.
Sur les rĂ©seaux sociaux, je vois beaucoup de lecteurices (dont le genre privilĂ©giĂ© est celui de la romance) qui semblent croire que toute reprĂ©sentation dans un roman est prescriptive, que le but premier de la littĂ©rature est de mettre en scène des modèles, ou de donner Ă lire des fantasmes parfaits Ă la moralitĂ© irrĂ©prochable.Â
Sous prétexte que les lecteurices devraient s’identifier aux protagonistes, aucun élément dérangeant n’est permis. L’illusion de perfection doit être maintenue coute que coute, quitte à sacrifier toute prétention au réalisme. De tous les genres littéraires, la romance est certainement le plus conventionnel et le plus aseptisé (même quand il est épicé).
Mais si la romance ne contient que des histoires d’amour, toutes les histoires d’amour n’appartiennent pas à la romance. Il en existe de vicieuses, de toxiques, de répréhensibles. Chacun peut prétendre à l’amour, même les dictateurs et les génocidaires. Je peux donc lire une histoire d’amour qui me révulse, sans pour autant que le roman ne soit mauvais. L’expérience de lecture, si elle ne participe pas du fantasme, n’en sera pas moins enrichissante : il est bon d’explorer ce qui dérange et d’essayer de comprendre pourquoi cela dérange.
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## Jeudi 15 août
Je continue ma lecture de *Straight Acting* de Will Tosh. Il y a tout un chapitre sur la vie Ă Londres, comme « troisième université » — c’est-Ă -dire un lieu d’éducation Ă la vie. Il consacre de nombreuses pages aux « *bedfellows* », c’est-Ă -dire Ă ceux qui dormaient dans le mĂŞme lit, une pratique très courante Ă l’époque Ă©lisabĂ©thaine.Â
Les nuits devaient sembler bien différentes : les contemporains de Shakespeare « avaient plus d’occasions qu’aujourd’hui de faire connaissance avec leurs compagnons de lit : le repos nocturne n’était pas ininterrompu, mais se divisait généralement en deux phases, le premier et le deuxième sommeil, séparées par une période d’éveil au milieu de la nuit au cours de laquelle les personnes partageant le lit conversaient, priaient, faisaient des projets pour le lendemain et, assez souvent, avaient des relations sexuelles. La frontière entre le compagnon de lit et le partenaire sexuel était inévitablement poreuse. »
VoilĂ une expĂ©rience rare Ă notre Ă©poque : nous connaissons le luxe du lit simple. Quand nous vivons en coloc, nous pouvons avoir notre propre chambre. Nous ne sommes que rarement obligĂ©s de partager un lit.Â
Le BL est friand des rapprochements nocturnes (*this is where stuff happen*), mais, dans un cadre contemporain, il faut bien trouver une excuse. Celle-ci est inévitablement artificielle et, à ce titre, a peu de chance de duper la lectrice aguerrie. (En Romanceland, notons que les hôtels ne connaissent pas la crise et sont toujours pleins, forçant les protagonistes à se glisser sous les mêmes draps.)
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## Vendredi 16 août
« Le storytelling est à la fois une forme d’art et un aspect fondamental de l’expérience humaine. C’est grâce aux histoires que nous donnons un sens à la brève période de conscience dont nous sommes dotés entre l’oubli éternel qui précède la naissance et celui qui suit la mort. L’univers, qui est le plus souvent soumis au hasard, ne se préoccupe guère de l’évolution des personnages ou des intrigues. Mais ce n’est pas ainsi que nous faisons l’expérience de la vie : nous avons besoin d’un sens, d’un but, de laisser une trace positive dans l'univers — nous voulons être le héros de notre propre épopée fantastique. C’est en racontant notre vie que nous la faisons exister. » ([Interview](https://medium.com/authority-magazine/ken-liu-on-how-to-slow-down-to-do-more-0b7ecd0ec685) de Ken Liu, 14 août 2024)
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## Samedi 17 août
Ce mois-ci, la boite découverte de Curious Tea comporte quatre thés oolong de Taïwan : Four Seasons Oolong (comté de Nantou), Muzha Tie Guan Yin Oolong (Muzha, Cité de Taipei), Shan Lin Xi Baked Qing Xin Oolong et Shui Xian Water Sprite Oolong (tous les deux pareillement de Nantou).
Si je n’aimais pas le thé oolong, le mois serait bien long… Mais ce thé « dragon-corbeau » (wūlóng chá), à mi-chemin entre le thé vert et le thé noir, c’est-à -dire semi-oxydé (si bien qu’on peut aussi l’appeler « bleu-vert » \[qīngchá]), ne me déplait pas. Je trouve fascinant qu’il soit roulé en minuscules boulettes, qui se déplient majestueusement sous l’effet de l’eau chaude.
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## Dimanche 18 août
J’ai commencĂ© ma lecture du tome 1 de *The Scum Villain’s Self-Saving System* de Mo Xiang Tong Xiu, publiĂ© chez MxM Bookmark.Â
Plusieurs choses m’agacent d’emblĂ©e : le titre anglais qui est incomprĂ©hensible Ă 90 % des lecteurices français·es ; le fait que la version française soit « traduite de l’anglais et du chinois » alors qu’il ne s’agit vraisemblablement que d’une traduction de la version anglaise ; les notes en bas de page qui compliquent la lecture au lieu de l’éclaircir.Â
Ensuite, la qualitĂ© du style diffère grandement de ce que j’ai pu lire du premier tome du *Grand maĂ®tre de la cultivation dĂ©moniaque* de la mĂŞme autrice. Je ne pense pas que cela provienne de la traductrice française, mais plutĂ´t des traducteurs anglais qui ne doivent pas ĂŞtre les mĂŞmes.Â
Ce premier chapitre donne aussi l’impression qu’on lit un brouillon d’assez mauvaise qualité : peut-être cela s’explique-t-il par le fait que *The Scum Villain’s Self-Saving System* est le premier roman de l’autrice. Si un éditeur s’était penché sur le manuscrit, certains défauts auraient pu être facilement gommés.
Bref, ce premier chapitre est décevant. Je ne suis pas sûr de vouloir continuer la lecture… mais à 21,99 € le volume, il faudrait peut-être que je m’accroche plus longtemps.
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