# Semaine du 21 octobre 2024 *Ces entrées appliquent l’orthographe rectifiée. Adieu les petits accents circonflexes ! Pour recevoir gratuitement ma newsletter qui propose une édition mensuelle de ce Journal, c'est par [ici](https://enzodaumier.substack.com).* ## Lundi 21 octobre « Le plaisir que j’éprouve à écrire est maintenant peu de chose ou plutôt il est nul, et je ne trouve plus de charme à soumettre ma pensée aux lois de la mesure \[= métrique], soit parce que, loin d’en avoir retiré aucun fruit, cette occupation fut la source de mes malheurs, soit parce que je ne trouve _aucune différence entre danser dans les ténèbres et composer des vers qu’on ne lit à personne_. » Ovide, *Les Pontiques*, IV, 2 --- ## Mardi 22 octobre Le passage d’Ovide que j’ai cité hier est ainsi traduit par Marie Darrieussecq dans *Tristes Pontiques* (2008) : "je me force à sortir mes tablettes de cire mais ma Muse se traîne et je n'ai plus de joie ou disons qu'il est devenu dérisoire le plaisir que j'avais à écrire autrefois faire plier les mots à la bonne mesure écrire en rythme penser en vers je n'en tire aucun fruit j'y vois la cause de mes soucis *écrire sans être lu c'est danser dans le noir* quand on lit à quelqu'un ça résonne ça monte la gloire pique le désir" --- ## Mercredi 23 octobre *Love in the Big City*, l’adaptation du roman de Sang Young Park, est présentée comme l’un des évènements phare de l’année par la communauté internationale du BL.  Mais s’agit-il pour autant de *Boys' Love* ? Stricto sensu (puisque BL veut dire littéralement « amour des garçons »), on pourrait dire que oui : la série raconte les amours homosexuelles de Go Young, un jeune coréen qui vit à Séoul. Si l’on prend cette définition élargie du BL, quasiment toute représentation de deux hommes en train de s’embrasser entre dans cette catégorie. Mais, quitte à déplaire à certaines âmes sensibles, j’affirme que *Love in the Big City* n’appartient pas au genre polymorphe du BL, mais s’inscrit, au contraire, dans la veine LGBTQ+. Le roman est un pur produit de la littérature gay. Et si les deux peuvent se chevaucher avec plaisir, il ne faut pas les confondre pour autant. --- ## Jeudi 24 octobre Je ne le répèterai jamais assez : le BL (appelé aussi MM ou danmei ou yaoi) est un sous-genre de la romance. À ce titre, il doit raconter une histoire d’amour (le plus souvent, une seule) entre deux protagonistes et se terminer de manière satisfaisante (HEA ou HFN). La littérature gay, au contraire, n’est pas limitée par une série de règles arbitraires héritées de la romance. Sa seule mission consiste à représenter l’expérience d’être gay dans sa diversité : elle ne saurait donc se limiter à des histoires d’amour monogame conventionnelles avec une fin heureuse. (D’ailleurs, pendant très longtemps, la littérature gay a été incapable d’écrire des fins heureuses ; le mode tragique était le seul acceptable.) *Love in the Big City* s’apparente au roman d’apprentissage : de relation ratée en relation manquée, on assiste à l’évolution de Go Young, tout en explorant ses traumatismes. Ici, l’amour apparait comme un Graal inatteignable, et non comme une récompense inévitable, tel que c’est le cas dans un BL par exemple. Même si la série se termine sur une note positive, le personnage principal n’a pas pour autant mis fin à son célibat. Si cette histoire était un BL, elle trahirait la seule règle immuable du genre et serait donc un échec retentissant, ce qui n’est pas le cas, heureusement. --- ## Vendredi 25 octobre Une dernière note sur Go Young. J’ai parlé hier, en passant, d’évolution du personnage, mais cela m’a dérangé toute la journée. En y réfléchissant, j’ai plutôt l’impression que le protagoniste n’évolue pas : il fait encore et encore la même erreur. Il est incapable de reconnaitre l’amour quand celui-ci apparait dans sa vie. Il semble qu’il faille, chaque fois, une catastrophe (suicide, trahison odieuse, départ pour l’étranger) pour qu’il prenne conscience de l’importance de ces hommes dans son existence.  C’est particulièrement vrai avec la première et la dernière relation (je mets de côté celle du milieu avec l’homophobe, qui mériterait d’être analysée séparément) : il faut un an (un an !) à Go Young pour comprendre qu’il aimait Sim Gyu-ho… Il lui faut même revenir sur les lieux de sa romance (Bangkok) avec un autre homme pour que ses sentiments lui apparaissent avec clarté. Mais même à ce moment-là, il ne fait rien pour sauver l’amour qu’il a perdu. (Certainement que ses traumatismes sont trop profonds pour qu’il comprenne qu’il est l’acteur principal de son bonheur.) Cette passivité permet une fin douce-amère qui semble convenir davantage à un roman de littérature gay, car cela fait plus sérieux.  *It is a truth universally acknowledged that*… un auteur avec des prétentions littéraires évite les fins heureuses comme la peste. Sang Young Park l'a bien compris. --- Navigation : [[20_PublicDiary]] [[Semaine du 2024-10-14|Semaine précédente]] - [[Semaine du 2024-10-28|Semaine suivante]]