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# Les problèmes éthiques de la romance MM
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Tags : #Podcast #Gay #RomanceMM
Rédigé : Samedi 25 avril 2020
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Dans un bref essai, publié en mars 2018 et intitulé "why are so many gay romance novels written by straight women" (pourquoi y a-t-il tellement de romance gay écrites par des femmes hétéro?), Claire Rudy Foster, autrice trans américaine, dénonce les dérives de ce que l'on nomme la romance M/M. A ses yeux, les femmes hétéros devraient éviter d'écrire des histoires d'amour entre hommes.
Dans cet épisode, je voudrais explorer avec vous ses arguments / car il me semble intéressant d'avoir une discussion plus nuancée sur les problèmes éthiques que soulève le monde de la romance MM.
D'un point de vue strictement quantitatif, la majorité de la production est écrite par des femmes hétéros à l'attention de lectrices, elles aussi hétéros. Evidemment, il existe de nombreuses exceptions mais qui, dans les faits, ne sont là que pour confirmer cette règle.
Toute personne qui ne baigne pas dans le milieu du MM s'en étonne et pose une question tout à fait légitime : comment une femme hétéro peut-elle écrire sur la sexualité ou la vie gay ?
Les autrices de MM répondent souvent : en faisant des recherches et en ayant des amis gays avec lesquels discuter de ces affaires-là. En effet, comme toute écrivaine qui se respecte, les autrices de MM font des recherches pour ne pas écrire n'importe quoi. C'est logique, n'est-ce pas ? (Jusque là, rien de plus normal)
Toutefois, quand cette question est abordée, on sent une certaine crispation de la part de l'autrice (ou même des lectrices si elles ont, elles aussi, à répondre à cette question), / de la crispation/ voire peut-être un certain malaise… car la question ne porte pas seulement sur leur compétence, mais aussi sur la légitimité d'une telle entreprise.
Claire Rudy Foster n'y va pas par quatre chemin. De quel droit les femmes hétéros se permettent-elles d'écrire de la romance gay ? D'où leur vient cette légitimité ? "parce que, répond-elle, c'est ce que leur a dit une société qui traite les gays comme des objets de curiosité, castrés et fétichisés."
Vous savez, ce cliché du meilleur ami gay, celui avec qui on va chez l'esthéticienne ou chez la coiffeuse, à qui on raconte ses états d'âme et qui nous comprend si bien, parce que ce n'est pas un hétéros dangereux qui fait semblant de nous écouter seulement pour pouvoir s'introduire dans notre culotte.
Pour certaines femmes hétéros, le meilleur ami gay est alors l'accessoire qu'il faut avoir dans sa vie au même titre que son rouge à lèvres ou son sac à main.
Dans cette dynamique que l'on retrouve souvent dans les romances gay, indique Claire Rudy Foster, "la vérité au sujet de la queerness gay / c'est à dire cette étrangeté gay / se trouve effacée".
Selon elle, l'autrice hétéro censurerait la sexualité gay, jouerait avec ses personnages comme elle jouait jadis avec ses barbies. Les protagonistes gay de sa romance serait donc des fantasmes, éloignés de toute réalité.
Elle s'attaque ensuite à l'argument selon lequel la "romance MM" permettrait une meilleure représentation, une meilleure visibilité, des gays. / L'autrice MM en effet est souvent une alliée de la cause LGBT. /
Mais en quoi avance-t-on cette cause si on réduit le fait d'être gay au simple désir d'être attiré par un homme et de vouloir lui plaire ?
Sous la plume de certaines autrices (souvent américaines), le protagoniste gay n'est en réalité qu'une femme hétéro avec des organes génitaux différents. Il ne faut donc pas être surpris quand le lecteur gay a du mal à se reconnaître dans ces personnages.
Et on ne fait pas faire avancer une cause en colportant des clichés ou une vision aseptisée du milieu gay. Bien au contraire, on la trahit de l'intérieur. Croyant l'aider à se libérer, on continue d'oppresser la communauté LGBT en lui imposant une conception hétéronormée de l'amour et de la sexualité. C'est ce que l'on appelle / de l'autre côté de l'Atlantique / le délit de cooptation.
Faut-il pour autant en conclure, comme le fait Claire Rudy Foster, que les autrices hétéros devraient y réfléchir à deux fois avant d'écrire de la romance MM ? Ah, c'est une vaste question, et elle est épineuse.
Du point de vue du lectorat LGBT qui cherche à se voir mieux représenté en littérature, j'imagine que la réponse est oui. D'autant plus quand la romance M/M, celle qui ne fait que reproduire une vision hétéro-normée du monde, cache l'existence d'une littérature plus soucieuse de représenter avec justesse cette queerness, dont parle Foster.
/ En somme, quand la romance MM crie si fort qu'on n'entend pas la voix des gays. /
Je comprends que les autrices puissent être sur la défensive quand on pointe du doigt ce problème… Il n'est jamais agréable de voir sa légitimité être remise en cause… mais au lieu de tourner en dérision ce genre de préoccupations, comme je le vois régulièrement sur Twitter et sur Facebook, il vaudrait mieux au contraire les prendre sérieusement.
La romance, c'est bien plus que l'écriture de ses propres fantasmes. Ce n'est pas un exercice masturbatoire. Loin de là.
L'effort qu'il faut fournir pour devenir compétent et légitime ne peut que bénéficier au milieu du MM, que ce soit aux Etats-Unis ou en France. Le sérieux porté à son texte et à ses personnages ne peut qu'améliorer la qualité globale du genre, et la perception que les gens en ont.
Ceci dit, le lectorat LGBT ne peut pas rejeter par principe toute production écrite par une femme, parce qu'elle est hétéro, lui interdire d'écrire des romances gays sous prétexte qu'elle ne saura jamais de quoi elle parle.
Oui, c'est vrai, elle ne pourra jamais faire l'expérience d'être un homme gay, mais elle peut très bien tomber juste et ainsi enrichir le regard de son lecteur ou de sa lectrice. D'ailleurs, un certain nombre d'autrices prennent très sérieusement leur mission et se tiennent éloignées des clichés du genre. Il faut le souligner ici. Et en tant qu'homme gay, je les en remercie.
Le grand débat sur l'appropriation et la cooptation, très vivace dans l'anglophonie depuis quelques années et qui a débarqué récemment aussi en France, ne doit pas être fondé sur l'intolérance ou sur une forme de censure. L'autrice dispose du droit fondamental et inaliénable d'écrire ce qu'elle veut. Si elle se soucie réellement des problématiques LGBT, comme elle l'affirme souvent, elle fera l'effort de sortir de sa bulle, de son monde, pour réellement comprendre "l'étrangeté", la queerness des gays.
Ce souci d'être plus réaliste dans son approche ne veut pas dire que la romance MM devrait parler d'homophobie pour sonner juste. Bien au contraire, tout le monde a besoin de textes légers… et l'expérience d'être gay, même si elle ne ressemble pas tous les jours à une promenade dans le parc, n'en est pas moins constituée de moments de légèreté, de joie et d'insouciance.
A mes yeux, la division ne devrait donc pas se faire en fonction du sexe ou de la sexualité de l'auteur et de l'autrice, mais plutôt en fonction de l'approche artistique adoptée. C'est cette exigence du juste qui devrait être au cœur même de toute les entreprises de romances M/M.
Pour conclure, j'aimerais faire remarquer qu'il revient à toute la communauté du M/M, dans laquelle je m'inclus aussi, de veiller à ce que les voix qui se font entendre sur le sujet ne chantent jamais faux et accompagnent harmonieusement, sans les recouvrir, les voix diverses de la communauté gay.
Si les acteurs du M/M (ses autrices, ses lectrices, ses éditrices) décident d'ignorer ou de minimiser ces problèmes éthiques, sous prétexte qu'il s'agit d'une simple littérature de divertissement et qu'il ne faut pas se prendre la tête sur le sujet, ils mériteront peut-être qu'on les suspecte de cooptation, d'appropriation, voire d'exploitation de la communauté LGBT… et je pense qu'absolument personne ne souhaite courir ce risque.