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# Homosexualité et Renaissance italienne (script)
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#Gay #Renaissance
Rédigé : 16 mai 2020
Script de l'Episode 7 du [[_Bibli_Podcast_Index|Podcast]], jamais enregistré
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Suivi de : [[2020-05-19_Thief of Peace]]
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Quand on pense à l’Italie comme le siège du pouvoir de l’Eglise catholique, et du coup comme le cœur même de l’intolérance religieuse pour tout ce qui touche à l’homosexualité et à ses représentants, il nous paraît difficile d’imaginer que ce pays latin au machisme affirmé ait pu / durant de nombreux siècles / être une zone favorable aux amours entre hommes. J’ai déjà traité de l’Antiquité latine dans un épisode précédent, et vous savez donc l’ouverture d’esprit dont faisaient preuve les Romains il y a plus de 1500 ans.
Durant la Renaissance italienne, qui débute au XIVe siècle et s’achève au XVIe siècle, il apparaît que les mœurs sexuelles aient très peu évolué au final / surtout quand on les compare aux pratiques antiques. La sodomie, que l’on surnommait d’ailleurs dans le reste de l’Europe « le vice italien », était pratiquée non seulement avec assiduité mais / plus surprenant encore / ouvertement, si bien que Didier Godard, dans son essai intitulé L’Autre Faust, l’Homosexualité masculine pendant la Renaissance, parle de « l’explosion italienne ». Les sodomites étaient partout. Et même si nous avons quelques procès, quelques réprimandes officielles sur le sujet, il semblerait que l’homosexualité masculine ait été dans l’ensemble assez bien acceptée.
Comme durant l’Antiquité, les rôles étaient circonscrits : l‘homme le plus âgé était actif tandis que le plus jeune, très souvent un adolescent imberbe, assumait la position du passif. Ce dernier pouvait retirer des avantages financiers de telles liaisons… qui pouvaient être monnayées, comme dans le cadre formel de la prostitution, ou qui pouvaient donner lieu à des présents, gages de la valeur que le bel éphèbe avait aux yeux de l’amant énamouré. Avoir une relation homosexuelle avec un homme puissant pouvait procurer le tremplin nécessaire pour faire carrière. Personne ne l’ignorait. Et les plus ambitieux, ou les plus désespérés, savaient user de ce stratagème pour survivre. N’allez pas croire que ces adolescents faisaient cela loin des yeux de leur famille. Nous trouvons de nombreux exemples où ce sont les parents eux-mêmes qui offraient les services de leurs beaux jeunes garçons aux hommes influents et affluents… Dans une lettre de 1518, Michel-Ange évoque la proposition d’un père qui souhaitait que son fils devienne son apprenti. « Il m’a répliqué / écrit Michel Ange / que si je le voyais, ce n’est pas seulement dans ma maison que je le mettrais, mais dans mon lit ». Michel-Ange, pourtant homosexuel notoire, nous le verrons plus tard, refusa.
Si un jeune homme était passif dans sa jeunesse, dès qu’il devenait adulte, on s’attendait à ce qu’il adopte un rôle plus actif dans les rapports sexuels. Évidemment, il y avait toujours quelques hommes d’âge avancé pour préférer être sodomisés… Il est parfois difficile de se défaire de certaines préférences…
Da manière générale, on concevait l’homosexualité comme une pratique de jeunesse, que l’on acceptait comme nécessaire. « Ce sont des enfants, il faut bien que jeunesse se passe » pouvaient dire les pères de famille. Toutefois, dès qu’ils se mariaient, les hommes devaient / en théorie / se détourner des autres hommes. Pour ceux qui trouvaient difficiles de renoncer à ces moments de plaisir, la justice, quand elle était saisie, se montrait donc plus sévère : les amendes augmentaient avec l’âge de ceux qui étaient reconnus coupables.
L’homosexualité n’était pas un tabou en Italie : les lettres qui nous sont parvenues de cette période la mentionnent clairement. Ce sont des faits de la vie de tous les jours. Seuls les prédicateurs s’en offusquent dans les Églises. Mais, après tout, il s’agit là de leur rôle, n’est-ce pas ?
Toutefois, à la tête de l’Eglise, le discours est tout autre. Les papes, eux aussi, font étalages de leurs mignons : durant cette période, on peut affirmer que le pape est homosexuel (ou bisexuel). Pie II, Paul II, Sixte IV, même Alexandre VI Borgia / qui était un grand amateur de femmes / Jules II, Léon X… Tous sont connus pour leur appréciation de la beauté masculine… dans leur lit de préférence.
C’est ceux qui sont exclusivement hétérosexuels qui font exception à la règle : ainsi, Paul III, devenu pape en 1534, était connu comme étant jusqu’alors le « cardinal des jupons ».
Ceci dit, son fils illégitime, Pierre-Louis Farnese, premier duc de Parme, n’a pas suivi l’exemple paternel : il possédait des escouades chargées d’enlever pour lui les beaux garçons. Quand il visitait un monastère, il choisissait un beau novice parmi les moines pour passer la nuit avec lui.
Comment explique-t-on cette présence en masse de l’homosexualité ?
Il faut tout d’abord noter que les hommes se mariaient sur le tard, vers trente ans. On a remarqué que les mœurs sont plus libres dans les sociétés où le mariage s’effectue à un âge avancé, plutôt que dès la sortie de l’adolescence.
Ensuite, la société italienne de l’époque était de manière générale plus ouverte d’esprit : ce n’est pas seulement le cas pour l’homosexualité, on note une plus grande acceptation des juifs. C’est aussi le pays où l’on a brûlé le moins d’hérétiques et de sorciers. D’ailleurs, on sait que les persécutions des homosexuels, des juifs et des sorciers vont en général de pair.
Autre élément à considérer, c’est évidemment ce qui se trouve au cœur de la Renaissance italienne. La redécouverte de l’Antiquité gréco-romaine, de ses œuvres littéraires et artistiques, mais aussi de ses philosophies. Durant cette période, un courant de pensée / que l’on appelle le néo-platonisme / fleurit et se répand dans toute la péninsule. Il offre une légitimité à l’homosexualité qui lui permet de s’affirmer sans masque.
La figure au centre de ce courant de pensée est Marcile Ficin, le fils du médecin de Côme de Medicis. C'est en traduisant l'œuvre de Platon qu'il fait l'expérience d'une véritable révélation et devient / en quelque sorte / le grand-prêtre du philosophe antique. Il parvient à réaliser une synthèse entre paganisme et christianisme. A ses yeux, la beauté physique est le reflet de la beauté de l'âme et doit, à ce titre, être célébré. C'est là la mission des artistes : exit la mortification de la chair et la répression du désir, le néo-platonisme loue la beauté du corps dans tout ce qu'il a de sensuel. A la suite de Platon, Ficin considère que seul le corps des garçons mérite cette célébration. Les femmes sont incapables de susciter cette extase métaphysique. Sans aucun doute, cet amour devrait être spirituel avant tout, mais nous avons affaire à un intellectuel ouvertement homosexuel. Il dédie la première version de son commentaire du Banquet de Platon à son amant, le beau Giovanni Cavalcanti, de 15 ans son cadet, à qui il écrit aussi de nombreuses lettres d'amour en latin qui seront publiées. Il n'est pas question pour Ficin de maintenir ses sentiments secrets, même si Calvanti ne les partageait pas.
Citons deux autres figures très importantes de l'humanisme italien, qui gravitèrent autour de Ficin : [[@Pic de la Mirandole]] et [[@Ange Politien]]. Le premier était doué d'une mémoire prodigieuse, ce qui lui permit d'être un érudit de premier plan. Il tenta de faire la synthèse non seulement des connaissances grecques et latines, mais aussi des littératures arabes et juives. Ses écrits furent condamnés par la papauté, qui le soupçonna d'hérésie, ce qui l'obligea à aller trouver refuge en France. Après s'être réconcilié avec le Vatican, il mourut prématurément à Florence. Ses contemporains soupçonnèrent un assassinat, mais il se pourrait que Pic ait été l'une des premières victimes de la syphilis. Quoi qu'il en soit, lui aussi était un fervent partisan de l'amour socratique. Nous connaissons l'amour passionnel qui l'unit un temps à Girolamo Benivieni, qui lui survécut 48 ans, mais / et c'est là une anecdote très touchante / insista pour être enterré aux côtés de Pic de la Mirandole. Il fit graver sur leur pierre tombale commune une épitaphe qui précisait qu'on ne devait pas séparer dans l'au-delà ceux qui s'étaient aimés sur terre.
Quant à Ange Politien, chargé de l'éducation des enfants de Laurent de Médicis, il exhortait les maris à divorcer et soutenait que l'homosexualité je justifiait par l'exemple des dieux et les défauts des femmes. On pense qu'il a aussi été l'amant de Pic de la Mirandole. Son Orfeo, qui est la première composition dramatique faite en Italie sur un sujet profane, est sans doute la première pièce où l'homosexualité soit à l'honneur. Ayant perdu son Eurydice, Orphée jure désormais de ne plus aimer aucune femme et de consacrer ses sentiments qu'aux seuls jeunes hommes. Il succomba, dit-on à l'époque, d'une fièvre, causée très certainement par la syphilis. La rumeur voulut qu'il soit mort en chantant les louanges d'un énième garçon, sa dernière passion.
En 2007, toutefois, les restes de Politien et de Pic de la Mirandole, tous les deux morts en 1494, le premier en septembre et le second en novembre, furent exhumés : les tests scientifiques ont prouvé qu'ils avaient tous les deux succombé à une intoxication à l'arsenic…
Homosexualité, syphilis et assassinat. Il y a là très belle matière pour un roman.
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Source : [http://rictornorton.co.uk/though19.htm](http://rictornorton.co.uk/though19.htm)
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