## S01E05 Pour une histoire gay --- Indexé : [[_Bibli_Podcast_Index|Podcast]] Tags : #Podcast #Gay Rédigé : Samedi 2 mai 2020 --- Depuis quelques mois, l'un de mes passe-temps favori Consiste à me perdre pendant des heures dans le Who's Who in Gay and Lesbian History \[Qui est qui dans l'histoire Gay et lesbienne\], dont le premier tome va de l'Antiquité à la Seconde guerre mondiale. Tout le monde connaît le Who's Who, cette collection / souvent des dictionnaires biographiques / qui présente les personnages les plus célèbres dans un domaine particulier. Lire le Who's Who de l'histoire LGBT est une expérience passionnante. Le roi français Jean II le Bon, Léonard de Vinci, le pape Jules II, Michel de Montaigne, Constantin Cavafy, Marguerite Yourcenar… C'est comme si à chacune de mes lectures, je faisais l'expérience d'une épiphanie : devant mes yeux je peux voir apparaître des hommes et des femmes célèbres qui aimaient des représentants de leur propre sexe. Soudainement, l'histoire cesse d'être uniquement hétérosexuelle. Nous étions là dès le début. Et nous étions partout. Dans ce livre, des universitaires / tout ce qu'il y a de plus respectable / nous présente ces gens célèbres : des artistes, des papes et des cardinaux, des hommes ou des femmes politiques, des penseurs, des écrivains / etc / etc. En deux ou trois paragraphes, parfois davantage pour les plus connus, ils exposent leurs œuvres, la raison pour laquelle ils sont célèbres, mais surtout ils discutent des faits et des rumeurs au sujet de leurs préférences sexuelles. Enfin, un ouvrage qui ne fait pas semblant d'ignorer cet aspect-là. Si vous êtes hétéros, il est tout à fait possible que vous ayez du mal à comprendre à quel point il est vital pour la communauté LGBT de voir que d'autres hommes et d'autres femmes comme eux et comme elles ont non seulement existé / mais ont aussi contribué à la civilisation occidentale qui a donné naissance à la société dans laquelle nous vivons. Etudier l'histoire peut-être une expérience déprimante pour un jeune homme gay : le voilà qu'il cherche des traces pour prouver que son "vice" était partagé par d'autres, qu'il n'était pas le seul. Mais la plupart du temps ces traces, ces indices, ces faits sont cachés et quand, par chance, ils émergent pour devenir visibles, ils sont rejetés ou ridiculisés par la pensée dominante. Beaucoup d'historiens ont refusé / et certains refusent encore / de reconnaître que certaines des personnes citées dans ce dictionnaire étaient homosexuelles. Ils cachent leur malaise / ou leur homophobie, c'est selon / sous de longues considérations historiques, du type : "l'homosexualité est une construction moderne", donc même si machin a eu des relations sexuelles avec des représentants de son propre sexe, il ne se considérait pas comme étant homosexuels. Du coup, en parler ne présente aucun intérêt. / De fait, l'homosexualité est remise dans son placard. / Ou alors, on peut entendre cet autre type de considération : même si machin était amoureux de son ami (comme le prouve telle lettre authentique ou un extrait de son journal, par exemple), nous n'avons aucune preuve qu'il a couché avec lui. C'était clairement un amour platonique. / L'amour platonique ne pose jamais de problème, mais le fait que certains aient pu oser passer à l'acte, c'est trop perturbant pour que l'on puisse le considérer. / je dois vous avouer que lorsque je lis ou j'entends ce type de raisonnement, je jette le livre à l'autre bout de la chambre ou je m'énerve devant mon poste de télévision / pour le moment, je n'ai pas jeté de télévision par la fenêtre, mais qui sait combien de temps encore j'arriverai à me retenir. Pourquoi est-ce que je m'énerve? Parce que j'ai l'impression que l'on m'efface. Oui, c'est une injure faite à ma personne. Je ressens une colère qui doit être similaire à celle d'un noir ou d'un asiatique lorsqu'ils s'aperçoivent que l'on a blanchi un personnage lors d'une adaptation au cinéma. Ou lorsqu'un jeune français d'origine maghrébine, qui ne se sent pas toujours à l'aise dans son pays, la France, car on lui reproche de ne pas être assez blanc… prend soudainement conscience qu'Augustin / le fameux Saint Augustin / un des Pères de l'Eglise catholique / était loin d'être blanc. (il était originaire de Numidie, c'est à dire grosso-modo de l'Algérie actuelle, et il avait fait ses études à Carthage, c'est à dire en Tunisie). / A ce sujet / Je ne parlerai même pas de la couleur de peau d'un des plus grands géant de la littérature française : Alexandre Dumas, fils d'un mulâtre, comme on appelait les métis au XIXe siècle. La meilleure façon de gérer un détail qui ne corrobore pas notre vision simpliste du monde est encore de l'ignorer. Bref, je m'énerve, je m'agace, je bous sur place quand je découvre un exemple de 'whitewashing' - c'est à dire une tentative de dissimulation, pour parler bon français. En histoire, et plus généralement dans notre société, le principe de base, / auquel on n'échappe jamais, même de nos jours / c'est que tout le monde est hétéro. Quand une personnalité se trouve au cœur même de l'identité nationale, comme c'est le cas de Shakespeare en Angleterre, de Montaigne en France, de Michel-Ange en Italie, ou encore de García Lorca en Espagne, l'idée qu'ils puissent être associés à la communauté LGBT suscite très souvent une levée de boucliers, voire une hostilité féroce. Le mieux que l'on puisse espérer est d'entendre dire que ça n'a aucune importance si Shakespeare, Montaigne ou Lorca étaient intéressés par les hommes. Ce à quoi j'ai toujours envie de répondre : si ce n'est pas important, pourquoi dépenser tant d'énergie pour prouver le contaire ? Le Who's who est rempli d'exemples de ces intellectuels du passé qui ont consacré leur carrière à rendre ces génies de la nation plus hétéro qu'ils ne l'étaient certainement. Heureusement, les temps changent… Après tout, l'existence d'un livre comme celui-ci aurait été impensable il y a encore quarante ans. Et peut-être même que l'école se fait plus militante dans son approche de l'histoire et veille à montrer aux enfants de la nation toute la diversité qu'elle contient. Si l'on veut que notre société soit plus ouverte et plus égalitaire, il est capital de veiller à ce que les programmes scolaires donnent davantage de place… aux femmes, pour commencer / c'est quand même le minimum / mais aussi aux personnes LGBT. Souligner qu'un tel était homosexuel, ce n'est pas faire de la propagande pour la secte LGBT, promettre à la damnation de pauvres âmes qui n'ont rien demandé. Non, c'est permettre à l'enfant qui se sent différent de comprendre qu'il n'est pas seul, qu'il existe des modèles auxquels il peut s'identifier. Et pour les autres enfants, ceux qui rentrent dans le moule pour ainsi dire, un telle approche leur enseigne l'ouverture d'esprit, leur fait comprendre que le monde est plus complexe qu'il n'en a l'air…